« On ne peut taire le fait qu’on tue ». C’est par cette phrase lapidaire qu’un ami journaliste au Petit Parisien m’explique que son quotidien consacre un bon quart de ses pages aux crimes de notre époque.
Les statistiques sont formelles, on ne compte guère plus de meurtres aujourd’hui qu’hier. 250 affaires chaque année environ. Pourquoi en parle-t-on, dès lors, autant ?
Le crime, en 1909, est d’abord une histoire. Une histoire passionnante.
Une guillotine. Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque commandé par le Journal Le Temps.
Première étape : le journaliste décrit l’homicide lui-même, après la découverte du corps sans vie, grâce aux analyses de la toute jeune police scientifique. La description doit être réaliste, spectaculaire si possible, sordide le cas échéant, édifiante toujours.
Etape numéro deux : un portrait est dressé de la victime. L’idéal est de parvenir à la description d’un homme ou d’une femme qui ressemble au lecteur et vis-à-vis duquel il peut, avec effroi, s’identifier.
Etape numéro trois : l’enquête qui avance vite (« bravo les enquêteurs ! ») ou qui piétine (« mais pourquoi le gouvernement ne donne-t-il pas plus de moyens à ses limiers ? »). La police et le juge d’instruction interrogent les témoins, arrêtent les premiers suspects, deviennent les acteurs d’une pièce aux multiples rebondissements, où le fin mot de l’affaire semble s’éloigner au fil des pages, en tenant en haleine le public.
Etape quatre : le procès. Le coupable bénéficie à son tour d’une biographie et ses propos sont rapportés avec gourmandise. Est-ce un criminel né ? Un monstre qui ne demandait qu’à se révéler ? Un pauvre type qui sombre dans le crime après avoir pataugé dans la misère ? Le Petit Parisien ou le Petit Journal se délectent à décrire un Barbe bleue en puissance, un Caligula de la gâchette ou un éventreur fou qui ne prend même pas la peine d’essuyer son couteau entre deux méfaits. Le lecteur plonge dans l’abîme de l’être humain, explore la face cachée de son prochain qu’il ne peut que détester.
« A mort ! A mort ! » : nous sommes maintenant à la dernière étape. L’échafaud, les « bois de justice », la lourde lame qui s’abat d’un coup sec et venge, d’un coup, la société toute entière devant une foule de curieux haineux, qui se rassemble et s’unie à l’occasion de ce spectacle macabre et pourtant divertissant.
L’époque où nous vivons aime le crime et se réjouit du sang qui coule.
Les Apaches, les bandes de la « zone », les « chauffeurs » aident à remplir l’imaginaire d’une population de plus en plus urbaine, plus éduquée et civilisée qui se rassure de penser que les murs de la Cité la protège du « sauvage » qui campe, là-bas, dans les bois ou dans les faubourgs. Ce sauvage qui attend la nuit ou notre dos tourné pour nous poignarder, avant de faire la une du journal que nous étions partis chercher…tranquillement.
Oui, mais… les loups sont entrés dans Paris…
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La sécurité, toujours la sécurité. Sarkozy – Fillon y sont revenus aujourd’hui. Echec de la loi Sarkozy de 2007, reconnu par le Président lui-même. A quoi faut-il s’attendre désormais ?
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Il faut lire le très bon livre de Pierre Clavilier, La course contre la honte (Editions Tribord) pour comprendre ce que fut la peine de mort à travers l’histoire et ce qu’elle reste aujourd’hui.
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