28 février 1909 : Naissance d’un monstre

L’homme est seul dans sa chambre. Il s’est levé tard, ne s’est pas rasé et consulte, paresseusement assis sur le rebord du lit, l’avant dernier numéro de la revue raciste viennoise Ostara. Ce torchon dirigé par Jörg Lanz expose des thèses simples : la « race blonde » doit prendre le pouvoir sur l’ensemble de la planète pour la protéger des fléaux du monde moderne et elle doit asservir les peuples « d’hommes bêtes » à la « peau sombre » qui véhiculent le socialisme, la démocratie et le féminisme.

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Vienne, dans les années 1900, un homme seul, mal rasé, dans un chambre, lit des revues racistes…

L’homme seul réfléchit. Il repense à cette rencontre d’hier avec un personnage « en long caftan avec des boucles de cheveux noirs ». Il se rappelle avoir eu pour la première fois de sa vie un mouvement de recul face à se représentant de la « race juive ». Il n’avait pas encore ce réflexe quand il vendait ses tableaux à Löffner ou quand Robinson lui donnaient quelques pièces pour finir ses fins de mois. « Y-aurait-il les bons juifs qu’il côtoie tous les jours et les mauvais qui traînent dans la rue? » Le pouvoir dirigeant l’Autriche est-il dominé par des races inférieures qui le mènent à la déchéance comme le prétendait le bourgmestre de Vienne Karl Lueger en marge de l’un de ses discours de début d’année ?

L’homme seul se lève. Il ne se lave pas. Trop fatigant pour aujourd’hui. Il regarde par la fenêtre les passants en bas de la Felberstrasse. « Des Allemands, des Juifs, des Hongrois, des Tchèques, des Roumains… une Babel ethnique. » Un mélange qui provoque son aversion. Il pense que la belle culture allemande va être emportée par ce flot de personnes sans attaches. En s’affalant à nouveau sur sa paillasse et en mettant sa tête dans ses mains, il se remémore précisément les scènes qu’il a vécues comme spectateur au Parlement. Ces discussions qui n’en finissent plus, ces députés polyglottes, ce pouvoir impérial qui se dilue dans cette « démocratie visqueuse » ; tout cela provoque chez lui un début de nausée.

L’homme seul a faim. Il n’ose pas aller revoir son ami Kubizek qui pourrait lui avancer ou lui donner quelques billets pour tenir. Il ne veut pas lui annoncer son second échec à l’examen d’entrée à l’Académie des beaux-arts. Il n’ose pas lui dire que ses espoirs de carrière artistique s’évanouissent peu à peu.

Notre homme sort. Il enfile un manteau miteux et est interpelé un peu rudement par son logeur alors qu’il descend l’escalier.

« Vous n’avez toujours pas remis votre fiche de police au concierge. Il me faut plus de garanties que vous allez payer régulièrement votre loyer. Redonnez-moi votre nom ! »

L’homme seul s’approche. Il a les cheveux crasseux et sa mine fait peine à voir. Il articule d’une voix faible :

– Pas de difficulté. Je vais vous dire qui je suis. Je m’appelle Adolf Hitler. « 

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