Il ne fait aucune erreur et reste tapi dans l’ombre. Même s’il a été ministre à trente-deux ans, on ne peut affirmer qu’il est dévoré par l’ambition. Il semble avoir le temps d’attendre. Raymond Poincaré a quarante-huit ans et reste l’un des sénateurs les plus en vue.
Tout l’oppose au Président du Conseil actuel : il a été un dreyfusard très tiède et faisait parti de ceux qui voulaient, au début, étouffer le scandale pour préserver l’armée… quitte à punir un innocent. Il ne s’est rallié à la cause qu’avec des arguments juridiques et ne s’est guère mis en avant sur le sujet.
Raymond Poincaré, ministre de l’instruction publique dès l’âge de 32 ans, en 1893, puis titulaire du portefeuille des finances l’année d’après, est actuellement sénateur de la Meuse.
Il refuse une école anticléricale et ne peut donc admettre les mesures prises par les radicaux ces dernières années. Pour lui, les enfants doivent recevoir un enseignement « neutre » ; devenir des patriotes et non des « bouffeurs de curés ».
Enfin, il rejette, poliment mais fermement, le projet d’impôt sur le revenu présenté par Caillaux.
Bref, Poincaré, c’est la droite modérée. Celle qui ne fait pas de coup d’éclat mais peut un jour rafler la mise aux élections si les électeurs se lassent des radicaux.
Ce que veut Poincaré ?
Il ambitionne pour l’heure de rentrer à l’académie française. Ceux qui ne veulent pas le voir dans le fauteuil d’un immortel ont déjà fait élire son cousin Henri, le mathématicien spécialiste de la relativité générale et des « ondes gravifiques », en espérant que l’on ne pourrait désigner deux membres de la même famille dans cette vénérable assemblée. On pense cependant qu’il a toutes ses chances dans les prochains mois ou en 1910.
Mais surtout, Poincaré incarne l’homme de la revanche. Elu de la Meuse, originaire de Bar-le-Duc, il a vu, enfant, sa ville envahie par les Prussiens. Cela a laissé une trace indélébile dans sa mémoire. Il rêve ainsi d’une France unie qui retrouverait ses chères provinces perdues, il rêve d’une frontière qui se déplacerait à nouveau vers l’est.
La politique actuelle du gouvernement ne va pas vraiment dans cette direction… alors il attend. Tranquillement.
Il sait qu’un jour, son heure viendra.