3 février 1909 : Gide prépare une énorme provocation

 » Je reste un incompris. On pense que je fais l’éloge de la pureté, de l’oubli de soi, de l’attirance pour la méditation religieuse. On espère que j’ai tourné la page de l’Immoraliste avec cette austère Porte Etroite.  »

J’évoque ce midi avec André Gide le contenu du premier numéro de la Nouvelle Revue Française, la Nrf, paru il y a deux jours.

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L’écrivain André Gide lancé dans l’aventure de la Nrf en février 1909

La brochure remporte déjà un franc succès qui dépasse les cercles littéraires habituels. Chacun lit, commente, annote ce document qui répond à une attente d’un public devenu réfractaire aussi bien à des expériences littéraires qu’il ne comprend plus qu’aux oeuvres néo-romantiques ou naturalistes sans originalité.

Place à une littérature appétissante mais exigeante :  » L’effort ne remplace pas le don mais il l’exploite. Il n’éteint pas la spontanéité mais la relègue, si l’on peut dire, à la surface de l’oeuvre.  » Dans ses Considérations qui servent de préface au document, Jean Schlumberger fixe les règles, les exigences esthétiques auxquelles doivent se soumettre les écrits publiés dans la Nrf. On ne refuse pas un certain classicisme mais celui-ci doit être novateur, ambitieux d’un point de vue littéraire. La qualité du style est une ardente obligation mais ne doit pas se transformer en exercice vain, désincarné, éloigné de la vie.

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Gide est le premier à se soumettre à l’exercice et publie la première partie de La Porte Etroite. Livre évoquant un amour impossible entre deux jeunes gens attirés par le mysticisme, la ferveur religieuse et le don de soi à Dieu et refusant, à ce titre, l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre.

 » C’est vrai que les lecteurs sont lassés par les trop nombreux ouvrages décrivant la médiocrité de la vie bourgeoise ou se contentant de dénoncer telle ou telle réalité sociale. Les pages que je viens de composer semblent élever l’âme et justifier l’investissement chrétien. On se laisse bercer par une musique envoûtante des phrases qui raisonnent comme des chants très purs dans une église. Pourtant, il n’en est rien. Je souhaite autant réfléchir sur Dieu… que sur la pédérastie. Le sacrifice de mon héroïne attirée par la sainteté m’attire autant que des plaisirs défendus, des transgressions morales et des perversités refoulées. Même le style de l’oeuvre peut changer à l’avenir ; je réfléchis à d’autres rythmes, d’autres façons de composer. Il ne faut pas enfermer la littérature dans des habitudes ou une cage dorée. »

Impossible Gide. Son souci de perfection a failli rendre fous l’éditeur et l’imprimeur. Il ne peut admettre une coquille, un espace ou une virgule mal placés. Il corrige et recorrige encore les épreuves avant impression.

Attachant Gide. C’est lui qui mène la danse dans cette aventure qui commence avec la Nrf. A ses côtés, Jacques Copeau, André Ruyters et Jean Schlumberger forment une garde rapprochée souhaitant conquérir une vraie place dans la littérature française de ce début de siècle. Gide prend des contacts avec des inconnus prometteurs : Paul Valéry, Jean Giraudoux, Léon Blum, Paul Claudel ou un poète de Pau qui signe « Alexis Léger ».

Avant de me quitter, il lâche ces derniers mots :

– Je pars bientôt pour Rome. Je veux oublier La Porte Etroite. Mon prochain livre doit être un dépaysement radical ; je souhaite dérouter mes lecteurs, surprendre voire choquer ceux qui commencent à m’admirer. Je prépare une provocation énorme, vous entendez, ENORME ! « 

3 commentaires sur “3 février 1909 : Gide prépare une énorme provocation

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  1. Le XXème siècle naissant annonçait une littérature française prometteuse. je ne citerai pas une liste de grands écrivains qui ont jalonné la première moitié de ce siècle. Les amateurs de littérature le savent.
    C’est à partir des années 50, que la sauce commence à se gâter. La littérature française perd de son lustre et voit disparaître lentement cette aura, cette lumière qui ont éclairé notre chemin de l’adolescence. Nostalgie! nostalgie! diront les nouveaux gourous de cette nouvelle ère technologique qui avance certes à la vitesse du son, mais ne diffusant, hélas, qu’une inculture généralisée à tous les niveaux et particulièrement chez la gent politique.

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  2. Citation :
    « On se laisse bercer par une musique envoûtante des phrases qui raisonnent comme des chants très purs dans une église. »
    Pas le temps de faire des recherches, mais les phrases qui « raisonnent » comme des chants me laissent dubitatif…

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