11 septembre 1908 : le double handicap allemand

En reposant « Pensées et Souvenirs « , les mémoires -très bien écrites- de Bismarck, les images se bousculent dans ma tête. Il est fascinant de constater comment un seul homme a pu ainsi façonner, modeler la destinée de son pays voire celle de l’Europe.

La victoire de Sadowa sur les Autrichiens qui permet à la Prusse de conquérir définitivement une position de leader sur l’échiquier Centre Europe. La neutralité bienveillante de la France de l’époque avec un Napoléon III naïf qui ne comprend pas que le prochain à être « mangé tout cru », cela risque d’être lui. 

sadowa.1221109980.jpg

La bataille de Sadowa où l’Autriche est vaincue par la Prusse en 1866

L’Empire allemand, le IIème Reich, qui se constitue sur notre propre sol, dans la Galerie des Glaces du château de Versailles. Cet acte de puissance, cette gloire germanique qui naît sur les décombres d’une France humiliée.

reich.1221110235.jpg

La fondation du IIème Reich dans la Galerie des Glaces du château de Versailles en 1871

A un moment, les éléments jusque-là épars pour moi s’ordonnent d’eux-mêmes. Bismarck a su construire une Prusse et un Empire puissant. Avec talent, en sachant conjuguer la force industrielle à celle d’une armée bien organisée. Avec rouerie, en jouant notamment sur la faiblesse d’une Autriche incapable d’avoir une ligne diplomatique claire. Avec un certain sens du social en permettant des réformes internes protégeant le monde ouvrier et coupant l’herbe sous le pied des socialistes. 

Mais que devient cette Allemagne sans Bismarck ? Une formidable machine tournant « à vide », risquant à tout moment de s’emballer en mettant en péril les fragiles équilibres européens ? Le fait que l’Empire allemand n’ait pas réussi à trouver de successeur digne du Chancelier défunt n’est-elle pas l’une des sources de l’instabilité actuelle de notre monde occidental ?

 » Bismarck reviens ! L’Europe a besoin de toi !  » pourrait-on s’exclamer après une première analyse.

En poussant un peu plus loin la réflexion, je repense à cette appréciation portée par un jeune fonctionnaire britannique de l’Indian Office (je ne me rappelle plus bien son nom, un certain « Keynes », je crois) qui compare Clemenceau à un « Bismarck français ». La clef pour comprendre la situation actuelle n’est-elle pas dans cette appréciation, cette comparaison stimulante mais, à mon avis, erronée ?

En effet, l’Allemagne n’est-elle pas victime d’un double handicap, dont Bismarck serait, malgré lui, responsable ?

– Construite grâce au génie d’un grand homme, le Reich souffre dès la disparition de ce dernier. Clemenceau, au contraire, doté d’un pouvoir réel beaucoup plus faible que le Chancelier (La Chambre française peut à tout moment renverser le gouvernement alors que le Chancelier ne dépendait que du souverain), n’occupe pas une place aussi indispensable. Son départ du pouvoir ne serait pas un drame équivalent. La France continuerait à avancer, à progresser.

– Clemenceau subordonne l’ensemble de son action à la réalisation d’une France qu’il souhaite « juste ». Bismarck voulait, pour sa part, la réussite de la dynastie et de l’Etat qu’il servait mais sans objectif de justice. Le « social » et la démocratie -réelle- mise en place (les parlementaires allemands sont élus au suffrage universel) n’étaient pas pour lui des buts (ou des idéaux) mais des moyens, des compromis temporaires et pragmatiques, destinés à se plier aux réalités du monde moderne, ni plus ni moins. Bismarck disparu, les « moyens » démocratiques utilisés pour construire l’Etat allemand risquent de se lézarder et ne reste que la seule volonté de puissance germanique, maniée par des apprentis sorciers comme Guillaume II et certains de ses proches conseillers.

Pour régler le différend diplomatique que nous avons avec Berlin en ce mois de septembre 1908, il ne faudra pas oublier ce contexte.

En attendant, je sors de l’hôtel pour visiter la ville de Berlin que l’on me décrit comme magnifique. Je pars à la rencontre des Allemands de tous les jours, si proches de nous par leur façon de vivre, de penser. Ces Allemands légitimement fiers d’une culture fabuleuse que je vais pouvoir découvrir rue après rue, rencontre après rencontre. Ces Allemands qui pourraient, si notre diplomatie réussit, cesser d’être nos ennemis intimes mais devenir -rêvons un peu –  nos frères.

Tout excité, je mets dans ma poche un petit dictionnaire français-allemand « aide mémoire » et en descendant l’escalier vers la sortie, je m’entraîne à parler la langue de Goethe. Je me surprends à articuler à voix basse, avec un mauvais accent, cette jolie phrase un peu bizarre :

« Ich bin ein Berliner ! »

7 commentaires sur “11 septembre 1908 : le double handicap allemand

Ajouter un commentaire

  1. Merci pour cette note.

    Pour info, « ich bin ein Berliner » n’est grammaticallement pas vraiment correcte… cela revient à dire « je suis un parisien » ou « je suis un rennais », or on dit plutôt « je suis parisien ».

    Ce qui n’est certes pas très grave dans l’absolu, mais devient cocasse quand on sait que « eine Berliner » est un petit beignet fourré à la confiture…

    J’aime

  2. Très belle expression, où se mêlent histoire, politique, et un peu de poésie. Une minuscule typo qui n’enlève rien au charme : « différend diplomatique », et non pas « différent ».

    J’aime

  3. Mon héros, doté d’une capacité d’anticipation peu commune, prononce (et c’est un clin d’oeil) une phrase restée célèbre d’un discours de John Fitzgerald Kennedy. Cela se passera 55 ans plus tard, le 26 juin 1963 au balcon de la mairie de Schöneberg, en faisant allusion à la résistance de la population à la suite de la construction du Mur.
     » Ich bin ein Berliner » sont les mots exacts prononcés par le président des Etats-Unis. Ils signifient effectivement « je suis un Berlinois » et marquent, comme pour mon héros, son attachement à la population allemande et ne veulent pas dire qu’il est né à Berlin (il aurait, dans ce cas, effectivement dit : Ich bin Berliner »). Sinon, « eine Berliner » est effectivement « une boule de Berlin », délicieux petit beignet que mon héros va se dépêcher de goûter à un prochain épisode. Merci de nous avoir donné cette idée gourmande.
    Signé: L’auteur

    J’aime

  4. Juste un mot pour dire que Napoléon III n’était certes pas naïf au point de ne pas voir que la prochaine « victime », après l’Autriche, serait la France. Il a ainsi tenté de réformer l’armée française (reculant devant une opposition quasi-générale) et a fait la (maladroite) guerre de 1870 pour contrecarrer la prépondérance naissante de la Prusse. Ce n’est pas parce qu’il a échoué, que Napoléon III doit être considéré comme naïf, à mon humble avis.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :