9 mai 1917 : Profiter de la vie

« Se promener bras nus, c’est un manque de respect pour nos soldats en permission ! » La phrase m’est venue comme cela, presque sans réfléchir. Ma fille Pauline, obéissante, est retournée dans sa chambre chercher un chandail pour se couvrir et se faire ainsi plus discrète.
Ma femme ne comprend pas et se risque à demander :
« Tu crois vraiment que cette tenue de notre fille – très convenable au demeurant – va influer sur le cours de la guerre ? »
J’ai du mal à expliquer ce que peuvent ressentir nos « Poilus » quand ils côtoient l’arrière. Eux qui s’attendaient à être accueillis en héros à chaque permission, à faire l’objet d’une vraie ferveur populaire liée aux sacrifices immenses auxquels ils consentent sur le front pour sauver la patrie, ils ont déjà dû se faire à l’idée qu’il n’en était rien. Leur uniforme ne leur donne aucun privilège particulier et les passants les croisent sans même un « bonjour », au mieux indifférents, aux pire méprisants quand ils sentent un peu mauvais ou ne sont pas rasés de près.
Ils doivent maintenant supporter que « l’arrière » – c’est nous – ne pense pas sans arrêt à la guerre. Que les jeunes filles grandissent et s’amusent, que leurs parents veulent retourner au spectacle, que tous désirent voir de bons films au cinématographe… Et que les privations de sucre, de viande ou de fruits frais, cela commence à bien faire si en plus on ne peut pas profiter un peu de la vie !
La guerre dure, s’étire sans fin. Personne n’en voit le bout. Il faut dès lors s’adapter et tenir. Et d’introduire un peu de plaisir et de joie dans nos mornes vies, fait partie de cette stratégie inconsciente (je parle comme le docteur Freud) de survie sur la durée.
Le soldat, lui, ne comprend pas. C’est si doux d’être en dehors des tranchées : de quoi se plaint-on ? L’arrière lui paraît être un monde de privilégiés, de « planqués », indifférents à son terrible sort…
Et – c’est là que je voulais en venir – tout se cristallise sur la tenue des jeunes filles. Une épaule apparente, un décolleté légèrement provocant… et tout s’emballe dans sa tête. Déjà qu’il ne peut satisfaire ses besoins virils, qu’il soupçonne sa femme de le tromper avec le facteur ou le plombier, il ne peut, en plus, admettre qu’une jeune femme puisse lui « jeter à sa figure de pauvre gars « sa beauté devenue inaccessible pour lui, la « brute » qu’il a l’impression d’être devenue.
« Oui, je suis d’accord avec toi, Nathalie : des bras bien couverts et une tenue neutre ne changent rien au cours du conflit, vraiment. Mais pour nos soldats, c’est une marque de respect appréciée. C’est un peu comme dans les églises où on se découvre en rentrant… »
Pauline lève alors les yeux au ciel, avec le regard excédé qu’elle a parfois : « Vivement que cela se finisse cette fichue guerre ! »

Les femmes, pendant cette si longue guerre, occupent les emplois vacants d’ouvriers mais aimeraient aussi « profiter de la vie »…

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