Nicolas est chez nous ! Un bonheur total de revoir notre fils après une absence de plus de six mois et un emploi du temps très occupé de moniteur et de pilote d’essai sur différentes bases aériennes.
Il a formé des dizaines de nouveaux pilotes, essayé la nouvelle mitrailleuse capable de tirer à travers les hélices et testé tous les nouveaux appareils mis en circulation pour tenter de retrouver la suprématie aérienne perdue en 1916 au profit des Allemands.
J’écoute notre aîné raconter ses combats aériens (il a quatre victoires homologuées et fera donc sans doute bientôt partie des «As »), ses pannes mécaniques fréquentes, ses bagarres contre une météo souvent capricieuse qui ne pardonne pas les erreurs d’appréciation… Quelle maturité, quel sang froid !
Certes, il mange bien (entrée, plat et dessert à chaque déjeuner) – bien mieux que les autres lieutenants au front – , dort dans un bon lit le soir, mais que de risques pris ! Il nous raconte que dans sa classe de vingt élèves formés à Chartres puis Avord en 1915, seuls cinq restent encore en service. Six croupissent, grièvement blessés, dans des hôpitaux de région parisienne et les neufs autres ont disparu, abattus par la chasse et la DCA ennemie ou victimes d’un atterrissage raté voire d’une panne fatale de leur appareil.
« Tu sais, papa, si on nous héberge et nourrit bien, pfff, ce n’est guère de l’amour de la part de l’armée… mais pour des raisons bêtement médicales : pour piloter en haute altitude, il faut une excellente condition physique. Sinon, on étouffe, la tête tourne et les capacités musculaires se réduisent dangereusement ; sans parler du froid intense qui nous engourdit. »
Assez ému, je lui réponds, ne trouvant trop quoi dire, qu’en attendant, il a « une excellente mine ».
Ma femme Nathalie ne dit rien et ne cesse de lui passer la main dans les cheveux ou de le serrer dans ses bras, attendrie.
Nicolas nous montre de magnifiques photographies de ses « zincs » (comme il dit) : Les Nieuport d’abord, remplacés progressivement par les Spad (« c’est plus sensible, plus difficile pour mes élèves mais au final moins fatiguant comme appareil » : ce n’est pas moi qui vais le contredire).
« – Et demain, tu repars ?
– Ben oui… je leur apprends le tir à la saucisse à mes p’tits gars ! Il y a de quoi faire !
– Le tir.. à quoi ?
– A la saucisse, papa ! Je leur apprends à descendre les dirigeables d’observation ennemis (ils ont la forme d’une saucisse), sans se faire prendre eux-mêmes par les canons au sol ou par les Fokker boches qui les guettent en tournant en haute altitude…
Et devant mon regard surpris, il part d’un grand éclat de rire, imitant, en roulant de la langue, le tir de la mitrailleuse Vickers : « Rrrratatatatatatata…et la saucisse est cuite ! »
