12 novembre 1917 : le mendiant russe qui prend le pouvoir

Par un froid glacial doublé d’un vent mauvais, un homme habillé en mendiant traverse Pétrograd. Il a un bandeau d’un blanc douteux tout autour de la tête comme s’il était blessé ou atteint d’une vilaine maladie de peau… il ne paye guère de mine.

L’individu bizarre marche près de deux heures dans la boue et la neige fondue de la capitale russe et passe, un à un, les multiples contrôles tenus par la soldatesque ou les ouvriers révoltés. Dans cette ambiance insurrectionnelle, chaotique, où l’incident malheureux arrive parfois et une balle est vite tirée sur toute personne suspecte, nul n’ose pourtant interpeller notre homme, peut-être par respect – ou pitié – pour son état misérable. Son pas reste étonnamment décidé et rapide et il atteint Smolny, siège des bolcheviks. Là encore, il se faufile dans la foule grondante sans être inquiété. Arrivé parmi les dirigeants, d’un geste théâtral, il défait son pansement en fait inutile, retire son écharpe grise, trouée et finalement hors d’âge. Il se révèle propre, a le regard vif, dégage une énergie formidable et tonne d’une voix qui domine celle des autres. A ce moment, il se redresse, gonfle sa poitrine et chacun le reconnaît avec un murmure de stupéfaction : c’est Lénine !

Le meneur bolchevik prend alors l’ascendant sur les autres dirigeants présents, avec le magnétisme qui l’a toujours caractérisé. C’est lui qui a la répartie la plus facile et argumente de la façon la plus convaincante.  Il ne s’embarrasse pas de doutes ni d’état d’âme. Son discours tranchant comme une lame, parfois violent, emporte tout sur son passage comme un fleuve sortant de son lit. Lénine balaie toute opposition par ses gestes brusques, le regard volontiers plein de colère et suscitant la crainte. C’est un fait dont personne ne doute : il fera arrêter ceux qu’il juge trop mous ou peu fiables.

Le représentant de l’ambassade de France qui m’écrit pour me conter tout cela, Louis de Robien, m’indique que Lénine n’hésite pas à mentir s’il le faut. Il annonce pas exemple la chute de Kerenski plusieurs heures avant l’arrestation réelle des ministres du gouvernement provisoire. Grâce à cet arrangement avec la vérité, il prend facilement l’avantage sur ses adversaires plus lents et scrupuleux.

Personne ne regrette Kerenski. Le dirigeant menchevik avait fini par se couper de tous les autres révolutionnaires et même du peuple qui avait pourtant cru en lui au début.

Il va falloir se faire à Lénine.

S’il est faible, il sera balayé en quelques jours dans cette ambiance totalement instable et imprévisible du Pétrograd d’aujourd’hui. S’il est fort, la Russie si vaste, si fragmentée, aura alors l’homme à poigne dont elle a toujours besoin.

 

L’Institut Smolny, siège des nouveaux dirigeants russes, les bolcheviks.

 

 

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