Un échec personnel : Je n’ai pas réussi à influer en faveur d’un changement de stratégie, à court terme, sur les actions des armées françaises au Chemin des Dames.
Poincaré m’a rétorqué : « Vous représentez le pouvoir civil. Vous ne pouvez vous mêler, sans arrêt, des affaires du Grand Quartier Général. «
Quant au ministre de la Défense Painlevé, il m’a lâché, bougon et en soupirant : « Vous savez – et sans vouloir être désagréable – je répare un peu vos choix passés, cher monsieur. Souffrez que je ne le fasse pas à la vitesse qu’il vous plairait. On ne peut remercier Nivelle comme cela. Même si Pétain est déjà prêt à prendre la suite, il faut que cette nouvelle nomination se révèle incontestable. Les pertes sur le front apparaissent comme très lourdes, certes, mais celles de Verdun l’étaient tout autant. A l’époque, on s’en émouvait moins ! »
Il a raison. Paul Painlevé est polytechnicien et mathématicien avant tout. Il compte, il chiffre, il évalue et pousse ensuite la décision – mûrement réfléchie – de façon rationnelle.
On ne peut encore parler avec certitude d’échec de l’offensive nouvelle, lancée hier et prolongée aujourd’hui. Il faut attendre.
Le ressenti du poilu qui s’élance à l’assaut, terrorisé, dans un bruit assourdissant de tirs d’artillerie, et qui, au bout d’une heure ou deux de vains combats, reçoit l’ordre d’essayer de s’enterrer dans un trou individuel pour sauver sa peau, au milieu des tirs de mitrailleuses allemandes, ne sera jamais celui de l’Etat-Major qui travaille avec des cartes et des rapports – et pas avec des états d’âmes de soldats – à plusieurs kilomètres de là.
Quant à la vision politique et parisienne, nous sommes encore plus loin du terrain, dans un jeu complexe de Poincaré, Clemenceau ou Briand, pour ne citer que ces ténors et des luttes d’influence aussi cruelles que discrètes entre la Chambre et l’exécutif, le pouvoir civil et militaire, l’Elysée et la Présidence du Conseil…
Il faut attendre… Je ronge mon frein.
