11 janvier 1911 : La guerre approche-t-elle ?

Et si cet ancien chaudronnier en cuivre avait raison ? Tout le monde se moque d’Alphonse Merrheim qui vient d’écrire un article original dans La Vie Ouvrière sur « L’approche de la guerre ». Ce secrétaire de la fédération de la métallurgie, suivi à la trace par la police des chemins de fer (cette police politique qui ne veut pas dire son nom), a décidé de renouveler le syndicalisme par un travail d’étude et d’analyse économique.

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Alphonse Merrheim

Il montre les conséquences des stratégies patronales (celle du Comité des Forges par exemple) et les impacts profonds des rivalités entre puissances capitalistes, en illustrant ses propos par la description des effets néfastes de l’affrontement entre l’Allemagne et l’Angleterre.

Le rapport de police qui arrive sur mon bureau ce jour, comprend l’article découpé dans La Vie Ouvrière et un commentaire ironique d’un fonctionnaire du ministère : le papier est jugé défaitiste et ne tenant pas compte de la rivalité France/Allemagne au sujet de l’Alsace et la Lorraine.

En lisant bien le document original, pourtant, l’analyse de Merrheim ne manque pas d’intérêt.

Oui, le régime tsariste joue un jeu dangereux avec l’Autriche au sujet des Balkans ; oui, la Grande-Bretagne et le Reich sont engagés dans une course effrénée aux armements (le tonnage de leurs flottes respectives augmente de façon exponentielle ) et s’opposent sur de nombreux marchés industriels ; oui, le patronat des pays d’Europe tient à présent des discours très nationalistes, censés détourner les ouvriers des luttes syndicales et des antagonistes de classes. Ce discours revanchard, « fier à bras » influence les hommes politiques de plusieurs pays et pousse les peuples les uns contre les autres.

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La construction d’un cuirassé allemand, le SMS Von Der Tann, sur les chantiers navals de Hambourg

Ce qui demeure rassurant, c’est que tous les commentateurs de la presse s’opposent, avec une belle unanimité, aux thèses de Merrheim et les jugent trop pessimistes.

Se révèle, en revanche, inquiétant, le fait que son article reste convaincant pour qui prend la peine de le lire.

« La guerre approche ». Pour la première fois, quelqu’un prononce publiquement cette phrase terrible.

3 commentaires sur “11 janvier 1911 : La guerre approche-t-elle ?

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  1. Votre collègue n’est pas le seul à sous-estimer ou à se moquer d’Alphonse Merrheim, malgré ou plutôt à cause de la qualité de ses écrits. Même s’il a la réputation au sein de la CGT d’être le meilleure connaisseur du capitalisme, certains de ses « collègues » manifestement le jalousent et font courrir le bruit qu’il y a quelqu’un qui écrit à sa place ses articles.

    La rumeur porte loin d’ailleurs puisqu’on en trouve la trace du journal L’Humanité « Nous savons que s’il a un guide qui peut devenir aussi, parfois sans doute, un inspirateur, il n’en a pas moins personnellement le mérite d’un labeur qui justifie l’autorité morale conquise par lui à la C.G.T. » (15 juin 1910), jusqu’aux collaborateurs d’Aristide Briand, puisque l’un de ceux-ci, Léon Parsons, n’a pas hésité à demander au professeur d’université Maxime Leroy, ami de Griffuelhes et Merrheim, d’avouer publiquement qu’il était le véritable auteur des écrits de ce dernier.

    Il semble fort difficile à certains, haut-fonctionnaire ou militant pur jus, d’admettre qu’un autodidacte, ancien chaudronnier, puisse produire des ouvrages de combat (contre le Comité des Forges principalement) aussi bien documentés!

    Voilà ce qu’en dit en tout cas le principal intéressé;

    « Mes collègues préféraient de beaucoup au travail suivi et ingrat des statistiques et du mouvement formidable des forces de productions économiques que les militants ouvriers devraient connaître et posséder à fond, la noce crapuleuse et la démagogie des réunions publiques…..Ne pouvant contester les faits que j’apportais. Incapables de les apprécier et de les utiliser. Incapables surtout d’un travail suivi, ils ne tardèrent pas à répandre le bruit que je n’étais pas l’auteur de mes articles. »
    -LETTRE A MAXIME LEROY (10 SEPTEMBRE 1909)-

    On ferait bien de ne pas se focaliser sur ces bruits sans guère d’intérêt et considérer avec sérieux (et sens critique) sa description d’une course aux armements fondé sur une course effrénée au profit des capitalistes.

    Bye

    Olivier Stable

    Source principale : « Merrheim et le capitalisme » par Christian Gras
    Le Mouvement Social (N°63 Mai-Juin 1968)

    LIEN :
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56191908.r=22Merrheim+et+le+capitalisme%22.langFR

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