18 mars 1909 : Duel au soleil

 » Il est un peu tard pour réfléchir aux conséquences de ton acte ».

Paul est journaliste. Il a rédigé un article bien tourné et très corrosif sur la pièce que vient de sortir un de nos grands maîtres du théâtre parisien. A la fin du papier, l’oeuvre comme son auteur et metteur en scène apparaissent pour ce qu’ils sont sans doute : ridicules.

Le metteur en scène, outragé, vient d’envoyer ses deux témoins au domicile de Paul pour fixer les conditions d’un duel.

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Georges Clemenceau n’a pas l’habitude de se faire marcher sur les pieds : son duel avec Déroulède est resté célèbre.

Mon ami journaliste tremble comme une feuille:

– Et si je refuse ?

– Tout Paris connaîtra ta position qui sera considérée comme de la lâcheté : dans les salons ou les dîners en ville, les messieurs se détourneront de toi avec hauteur et les dames riront sous cape. De surcroît, rien n’empêchera, dans ce cas, le metteur en scène de venir à ton bureau, en pleine journée, pour te rosser devant tes collègues.

-Les témoins m’indiquent que j’ai le choix des armes et que le duel cesserait « au premier sang » s’il s’agit de l’épée.

– Tu as donc de la chance. Le « premier sang » correspond à la première blessure de l’un d’entre vous pendant le combat et elle conduira à l’arrêt immédiat des hostilités. Une simple égratignure permet donc de s’en sortir… vivant.

Pour autant, je te conseille le pistolet avec un seul échange de balles. Si la distance est suffisante, vous avez toutes chances de vous rater. A plus de 50 mètres, vos faibles talents de tireurs devraient vous sauver la vie.

– Et si je le blesse, que se passera-t-il ?

– Légalement, tu seras responsable de sa blessure (la Cour de cassation reste ferme sur ce point) mais, en principe, ton adversaire ne déposera pas plainte. Il conviendra que tu passes prendre de ses nouvelles si la plaie se révèle sérieuse ou que tu laisses ta carte à son domicile si elle demeure plus superficielle.

– Où aura lieu le duel ?

– Généralement, on choisit le Bois de Boulogne, au petit matin. Quand le soleil se lève, vous faites les cent pas nécessaires pour vous mettre à la distance réglementaire avant le tir. Tout au long de cette « cérémonie » du duel, vous devez, l’un et l’autre, rester parfaitement courtois. Tu verras, le lever du soleil, la brume matinale, la rosée sur les feuilles, l’odeur du sous-bois froid et humide… tout cela est délicieusement romantique. Je veux bien être l’un de tes deux témoins et j’ai une boîte de pistolets. »

Paul me jette un regard paniqué. Il abandonnerait bien, d’un coup, sa carrière de journaliste, sa plume et son ironie mordante. Il rêve d’une époque où il n’aurait plus à rendre compte de ses papiers que devant un tribunal, bien au chaud, devant un juge compréhensif et sous la protection d’un avocat du journal.

Mais voilà, nous sommes en 1909 et l’usage veut que l’honneur d’un homme se défende les armes à la main !

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Dans toute l’Europe, l’entraînement au duel fait partie de l’éducation des jeunes gens bien nés. Ici, des étudiants allemands se battent au sabre.

3 commentaires sur “18 mars 1909 : Duel au soleil

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  1. Le point d’honneur ! Voilà une bien belle chose, sujet infini de réflexions … Pas seulement Bel-ami mais vraiment Hugo, Proust, Dumas, Maurras, Daudet et encore Piquart, Proudhon et Jaurès (contre ce même Deroulède) et plus près de nous de Gaulle, Tixier et Deferre, l’ami Jean-Marie se contentant du rôle de témoins (Lifar et Cuervas). Hommes de lettres, politiques et magistrats, gauche, droite, catholiques ou franc-maçons, tous de sacrifier au point d’honneur … si français …
    « Il s’est formé dans l’esprit des particuliers un certain je ne sais quoi qu’on appelle le point d’honneur, autrefois les Français, surtout les nobles, ne suivaient guère d’autre loi que celle de ce point d’honneur : elle réglait toute la conduite de leur vie et elle était si sévère qu’on ne pouvait sans une peine plus cruelle que la mort, je ne dis pas les enfreindre, mais en éluder la plus petite disposition. Quand il s’agissait de régler les différends, elle ne prescrivait guère qu’une manière de décision qui était le duel qui tranchait toutes les difficultés ;
    Cette manière de décider était assez mal imaginée : car de ce qu’un homme était plus adroit ou plus fort qu’un autre, il ne s’ensuivait pas qu’il avait de meilleures raisons.
    Aussi les rois l’ont-ils défendu sous des peines très sévères mais c’est en vain : l’honneur qui veut toujours régner se révolte, il ne reconnaît point de loi.
    Ainsi, les français sont-ils, dans un état bien violent car les mêmes lois de l’honneur obligent un honnête homme à se venger quand il a été offensé, mais d’un autre côté, la Justice le punit des plus cruelles peines lorsqu’il se venge.
    Si on suit les lois de l’honneur, on périt sur un échafaud.
    Si on suit celles de la Justice, on est banni à jamais de la société des hommes.
    Il n’y a donc que cette cruelle alternative : ou de mourir ou d’être indigne de vivre. » (Montesquieu).
    Ca valait bien les bling-blings, les Cocos et les Sarkos … chaque époque a les repères qu’elle mérite.
    Décidément, rendez-vous à la Salle d’armes !

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