3 mars 1909 : La « force noire » protègera la France

Le commandant Mangin est tout excité. Il a obtenu la faveur exceptionnelle d’être reçu par le Président du conseil. Il faut dire que sa proposition qu’il formalise dans un livre, intéresse au plus haut point. Il veut créer une « force noire ». Autrement dit, ce spécialiste des troupes coloniales en général et des tirailleurs en particuliers, propose que notre pays fasse le pari de régiments africains nombreux, capables de rivaliser avec les soldats allemands supérieurs en nombre. Cette idée, assez brillamment développée, est séduisante compte tenu de la mauvaise démographie française. D’après les calculs faits par le ministère de la Guerre, au moins 160 000 hommes pourraient ainsi être mobilisés en temps de paix, trois ou quatre fois plus en cas de conflit.

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Un tirailleur des forces coloniales du Congo. Plus de 160 000 hommes pourraient être mobilisés rapidement si on donne une suite aux idées du valeureux commandant Mangin.

C’est vrai, l’envoi de centaines de milliers d’hommes de couleur, sur un éventuel front de l’est pour « épargner des vies de nos villages métropolitains » – dixit un journaliste commentant le livre-  plaît au plus grand nombre. Tel député croisé à la buvette de la Chambre hier s’exclamait : « Ces colonies nous coûtent tellement cher; pour une fois qu’elles nous rapporteraient quelque chose ! ».

Le saint-cyrien Mangin est plus subtil. Il aime ses hommes et sait se faire apprécier pour son courage, sa détermination. Il a fait mentir son livret militaire que j’ai sous les yeux qui le décrit, en début de carrière, comme « mauvais officier, mou, nonchalant et apathique ». Il ne cessait à l’époque d’être puni par son chef de corps.

« C’est l’Afrique qui m’a révélé ! Là-bas tout est possible. L’audace militaire, les coups de force sont encore d’actualité. Ces « forces noires » sont vraiment endurantes. Jamais mes tirailleurs ne se plaignent, ils encaissent toutes les frustrations. Ils aiment notre patrie et sont prêts à donner leur vie pour elle. »

Son adjoint complète pour être plus clair encore : « Rien à voir avec les pauvres garçons du service militaire obligatoire, toujours prêts à se révolter si les conditions deviennent trop rudes. Les mutineries sont impensables dans nos troupes coloniales.  »

Mangin enchaîne conférences sur conférences et propose à qui veut l’entendre sa « force noire », inépuisable, nombreuse et courageuse.

Je fais un peu parler Mangin de sa vie plus personnelle :

– Vous avez beaucoup d’enfants, me dit-on ?

– Avec ma femme, nous en voulons au moins huit. Avec cette tribu, je me ressource, je baigne dans les rires et la gaité. Quand je les quitte, je me sens un officier indestructible !

Je me permets ce petit trait d’humour :

– C’est votre « force blanche  » ?

5 commentaires sur “3 mars 1909 : La « force noire » protègera la France

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  1. Un bon exemple de l’engagement des colonies dans la défense de notre cher pays. Le portrait de cet homme qui a trouvé son souffle dans la vie africaine me touche même si sa démarche peut paraitre décalée aujourd’hui notamment dans l’argument d’épargner les vie des métropolitains. Cette histoire nous renvois à notre responsabilité vis à vis des troupes « étrangères » engagées dans nos guerres et particulièrement les troupes d’Afrique lors de la deuxième guerre mondiale. Mes pensées vont à ses grands-pères vivant dans nos banlieues ou dans leur village qui vivent à l’ombre du souvenir national.

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  2. Il est presque navrant que l’on ait dû attendre 1909 pour qu’une voix comme celle de Mangin arrive enfin aux oreilles de nos députés. Bien évidemment, l’avenir de la démographie française est dans ses colonies. Et l’armée, creuset de l’unité nationale, doit puiser dans nos populations africaines, non seulement en cas de conflit mais surtout pendant la paix, afin de donner aux peuples de nos colonies un véritable sentiment d’appartenance à la France.

    Quand ce sentiment sera suffisamment développé et que les populations africaines seront aussi instruites que les françaises (ce n’est pas impossible, songez aux progrès faits dans nos campagnes en matière d’alphabétisation dans les trente dernières années), nous pourrons leur accorder la pleine nationalité. La France sera, j’en suis sûr, la première grande nation développée à élire un président noir.

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  3. Rappelons le courage des tirailleurs engagés dans une guerre qui n’étaient pas la leur. Mais maintenant, laissons le passé où il est et arrêtons de voir en l’Afrique les sauveurs de l’Europe. Les Africains sont indépendants et ont droit à un destin propre loin et différent de leurs anciennes colonies. L’Amérique fut bien en son temps une colonie Française. De même les Antilles ont droit à l’indépendance. Les anciennes Antilles anglaises le sont depuis longtemps et se portent mieux d’un point de vu identitaire et ont retrouvé la dignité à défaut parfois du bien être économique. Mais rien ne vaut la liberté.

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  4. Ce retour au passé est de taille pour se repenser les choses et surtout le rapport colonial. Mangin fait partie de ces colons convaincus d’un certain « humanisme » dans sa position de militaire.
    L’apport de ces hommes et surtout de la contribution des troupes noires à la construction de la France doit être rappelé au moments où les Antilles brûlent avec un désintérêt de l’Etat en pensant qu’elles coutent chers. Pour l’histoire, j’ai deux parents qui ont rejoint ces troupes noires. En Guadeloupe comme en Martinique nous avons des monuments aux morts qui attestent de ces efforts de guerre on oublie aussi l’apports de industries cannières (le tafia)…
    Ces danseuses ont été aussi des régions combattantes.

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  5. Chez les Anglo-Saxon, comme en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis, seuls les blancs avaient le droit de combattre à cette époque. Les Noirs, considérés comme inférieurs, servaient derrière pour les tâches « moins nobles ». Il y a une certaine notion de l’honneur.

    Chez les Français, les Noirs et les autres colonisés n’étaient pas bien mieux considérés, mais les Français ont vite compris leur utilité, d’où l’importance de la Légion étrangère.

    En Indochine, les étrangers étaient plus nombreux que les Français : anciens soldats Nazi enrôlés, Nord Africains, Sénégalais. Faire s’entretuer les colonisés avec l’argent américain, c’est presque gratuit.

    La guerre d’Indochine a duré 9 ans, alors que les Anglais ont quitté l’Inde d’eux-mêmes. Ensuite, ce sera 8 ans d’Algérie.

    Chez les colonialistes, la notion de l’honneur n’est pas la même.

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