» Il faut laisser le plaisir féminin s’épanouir pleinement. » Ce qu’il y a de bien avec le médecin avec lequel je discute ce soir, c’est sa clarté et sa franchise de scientifique !
Jusque dans les années 1860, sous le Premier et le Second Empire, le plaisir féminin, pendant l’acte sexuel, était tout simplement nié. La femme restait cantonnée à sa fonction reproductive. L’homme lui-même était prié d’être « efficace » dans ce même domaine… mais sans en rajouter.
Auguste Renoir, La Baigneuse Endormie
Il était de bon ton dans les milieux bourgeois de faire cesser toute vie très intime après 50 ans. Pour la femme, comme pour l’homme, l’abstinence, disait-on, augmentait les chances de vivre vieux.
Une chape de plomb très prude s’était abattue sur notre société.
Les romans populaires, les journaux, les plaisanteries de « corps de garde » , se faisaient vaguement l’écho d’une vie sexuelle plus « débridée et spontanée » dans les milieux ouvriers: debout derrière le mur de l’usine, la position debout étant réputée avoir des vertus contraceptives.
Quant aux paysans, couverts de vêtements faciles à enlever, ils faisaient l’amour, dit-on, loin de la chambre commune où dormaient aussi les enfants, donc dans les granges, les greniers ou derrières les haies.
Mais la norme, le bon goût, le savoir-vivre, trouvaient leur source dans les pratiques bourgeoises. Et dans les beaux quartiers, c’était, pour tous, à la nuit tombée, l’acte réalisé obligatoirement dans la « position du missionnaire ». Ce mouvement à peine charnel, devait aboutir si possible à une future naissance. Il y avait un crucifix au-dessus du lit, pour rappeler la grandeur et l’importance de ce bref moment vécu par le couple, uni devant l’Eternel.
Point de vrai plaisir dans tout cela ; aucun pour la femme et juste ce qu’il faut pour aller jusqu’au bout, le plus vite possible, pour l’homme. Si ce dernier en voulait « davantage », les maisons de tolérance du préfet de police Mangin des années 1830, les cocottes et les « belles horizontales » des années suivantes, étaient là pour le satisfaire.
Depuis une grosse quarantaine d’années, les choses évoluent doucement.
Le corps médical n’y est visiblement pas pour rien. Celui-ci se méfie grandement de la sexualité des maisons closes, sources de maladies vénériennes qui y prolifèrent de façon incontrôlable.
Et comment éviter la fréquentation des lieux de prostitution si on ne revalorise pas l’acte sexuel à la maison ?
Progressivement, les caresses, les baisers longs et fougueux, sont remis à l’honneur. Partout : dans les wagons de chemin de fer, dans les fiacres ou les antichambres.
Ce mouvement est renforcé par une diffusion large des valeurs romantiques et d’un retour au goût du jour de l’érotisme. La femme n’est plus une vierge effarouchée, tout de blanc vêtue.
La Commune et ses valeurs révolutionnaires en matière sociale, sont aussi passées par là.
La femme veut plaire, séduire. Ses parfums sentent le musc, ses décolletés sont plus provocants, elle laisse tomber ses longs cheveux.
Le monde des salons découvre le « flirt », à mi-chemin entre la liaison platonique et une sexualité libertine assumée façon XVIIIème siècle.
Mon ami médecin, toujours cru, ajoute : » les capotes réalisées naturellement en intestin d’animal sont avantageusement remplacées par des condoms en caoutchouc fabriqués en Angleterre. On peut faire l’amour à l’infini sans risquer une grossesse ! »
La République apprécie aussi le nouveau couple : un homme épanoui fait plaisir et honore longuement et régulièrement sa compagne aimante et contribue ainsi à l’accroissement d’une famille où naissent plein de beaux bébés peuplant une France qui doit pouvoir se mesurer à l’Allemagne.
Et le plaisir dans tout cela ?
« Il est revenu » conclut le médecin. « Mes patientes m’en parlent, en rougissant… mais l’estiment normal. Je n’imaginais pas tout ce qu’elles peuvent éprouver. Quelle variété, quelle intensité parfois ! »
» Elles ne rêvent pas forcément de leur mari mais parfois d’un jeune acteur vu au théâtre ou d’un cavalier croisé un dimanche ou encore d’un valseur doué fréquenté dans une soirée mondaine ».
Je questionne, taquin : » et elles ne fantasment jamais sur leur médecin ? »
C’est au tour de mon ami de rougir… en restant, pour une fois, silencieux.
Docteur Freud & nos amis viennois n’avaient-ils pas évoqué tout cela une vingtaine d’années plus tôt ?
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