12 novembre 1908 : L’accident « fondateur » de Marinetti

La cinq chevaux roule de plus en plus vite. L’écrivain italien Filippo Marinetti se laisse griser par la vitesse. Il pousse le moteur au maximum de sa puissance. Un gros nuage de poussière se forme derrière l’automobile.  » In avanti, avanti ! » hurle le conducteur au regard fou.

Marinetti a les idées claires : « L’art du futur sortira aussi bien de notre caboche que du capot de ce véhicule génial ! Le XXème siècle sera rapide, impatient et brutal. Il faut se libérer de la pesanteur de l’ennui par la course des bolides. Notre inspiration prendra sa source dans le bruit des moteurs poussés à fond.  »

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L’écrivain italien Filippo Tommaso Marinetti

Après un premier virage habilement négocié, un second se révèle imprévu : deux bicyclettes progressent lentement de front. Marinetti réalise en une fraction de seconde que son véhicule fonce sur les cyclistes. Un coup de volant brusque pour les éviter. La cinq chevaux se braque, fait un tonneau et verse dans le fossé rempli de boue.

L’écrivain est projeté dans le canal et entraîné au fond par la lourde automobile qui le coince sous l’eau immonde. Sensation humide et glacée. Vive douleur dans les muscles des jambes qui sont bloquées sous le volant tordu. Marinetti étouffe, il a de l’eau sale plein la bouche. Un moment de panique, un essai de cri : rien ne peut sortir des profondeurs du fossé.

Impossible de se dégager.

Se laisser aller, doucement, vers la fin. Une mort à 31 ans comme pilote d’une automobile ? Le froid engourdit et atténue les lancées horribles venant des membres inférieurs.

Marinetti repense à son père qui voulait lui apprendre la natation en le jetant dans l’eau. Cuisant souvenir d’enfance. Il a appris à nager mais pas grâce à cette méthode brutale. Il s’est fortifié sans cela. Les poings de Marinetti se serrent de rage. Tout cela est trop absurde. Son père pourrait-il gagner vingt ans après et le maintenir dans cette eau trouble, dans cette humiliante position d’un animal qui se débat pour survivre ?

Les bras sont libres, Marinetti, sportif, bande ses biceps, réunit toutes ses forces. Il attrape ce qui semble être une branche. Il tire de façon continue. Ses jambes se tordent, résistent mais finissent par se libérer. La remontée à la surface se fait en un instant.

Crotté, couvert de l’immonde liquide marron, l’écrivain sort du canal heureux. Un fois de plus, sa volonté de fer a triomphé. Il a vaincu sa peur, la figure paternelle qui le rabaissait s’efface dans l’ombre de ses souvenirs. Il est survivant, plus fort que jamais. Il lève les mains vers le ciel en signe de victoire et jure de continuer ses combats.

Il va changer le monde, faire sortir l’art des musées et des académies. Briser les règles, refuser la soumission aux habitudes sclérosantes, tourner le dos au passé, épouser la société des machines et de l’électricité. Plus rien ne peut l’atteindre, il est maintenant immortel, le futur lui appartient.

Promis, juré. Ce soir, il écrit son manifeste, son texte sanglant qui va plonger les arts dans la modernité. Ce soir, il composera ses lignes avec la même énergie que celle qui l’a tiré de cet accident. Il lui vient alors cette phrase qu’il trouve à la fois provocante et géniale :

 » Une automobile rugissante qui semble courir sur la mitraille est plus belle que la Victoire de Samothrace ! « 

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