Il existe des livres que l’on préférerait ne pas avoir ouverts, des théories qui glacent et que l’on voudrait oublier. » La Psychologie des Foules » de Gustave Le Bon, ouvrage paru il y a une dizaine d’années et réédité régulièrement depuis, fait parti de ces « pavés dans la mare » à fort retentissement qui bouleversent notre vision du monde et nous inquiètent sur des points auxquels nous n’avions pas vraiment réfléchi.
Gustave Le Bon
La thèse ? Elle est assez simple.
L’individu, pris individuellement, est un être vivant supérieur doté d’une vive intelligence, d’une raison lui permettant d’avoir des comportements rationnels. Il est capable d’échapper aux contraintes et aux préjugés et peut faire progresser l’humanité.
La foule, au contraire, reste irrationnelle, incohérente, impulsive. Elle a le niveau intellectuel d’un être inférieur comme l’animal. Elle forme un « tout » imperméable à toute argumentation logique et construite. L’individu, même intelligent, placé dans une foule, perd son autonomie et adopte les comportements simplistes de l’ensemble.
Cet ensemble a besoin d’être dominé. La foule, tremblante, écorchée vive, attend un guide ; le troupeau a besoin d’un maître. Ce dernier, s’il est habile, peut le faire évoluer à sa volonté.
Les foules sont partout : ce sont les grandes réunions de partis politiques mais aussi les assemblées parlementaires ou même… les jurys d’assises.
Par leur comportement régressif, elles menacent la bonne marche de la Civilisation et peuvent même la conduire à sa perte.
Gustave Le Bon qui est un homme de salons, popularise sa thèse dans le Tout Paris et ses conceptions sont connues bien au delà d’un petit cercle d’universitaires spécialisés.
Ses « Déjeuners du Mercredi » sont fréquentés par tout ce que la France compte d’éditeurs de revue, de chercheurs connus et de présidents de sociétés savantes. On y croise le mathématicien Henri Poincaré, Roland Bonaparte, le riche président de la société géographique, le philosophe Henri Bergson ou Ernest Flammarion. Les parlementaires, les professeurs de médecine ou les journalistes aiment être vus en ce lieu prestigieux.
Que faire des thèses de Gustave Le Bon ?
Le meilleur si l’on essaie de ne pas créer de situation de constitution de foules. Le Bon est très attiré par les sociétés anglo-saxonnes qui favorisent, selon lui, l’épanouissement de l’individu pour le plus grand profit de l’humanité.
Le pire si, au contraire, des personnes mal intentionnées comprennent, un jour, la force destructrice des groupes immenses et leur capacité à se soumettre à une volonté forte et unique d’un individu dominant.
Le Bon tire la sonnette d’alarme. Le XXème siècle qui commence marque peut-être le début d’une époque inquiétante où la volonté des sages souverains, légitimement élus, compte bien peu face aux comportements des foules dirigés par des démagogues habiles.
Une autre coqueluche des salons, l’académicien Abel Hermant, s’exclamait récemment : » Nos foules ont, en politique, le nez du chien qui n’aime que les mauvaises odeurs. Elles ne choisissent que les moins bons et leur flair est presque infaillible. «
La citation du dernier paragraphe aurait-elle été reprise par Maeterlinck Maurice, dans La vie des termites?
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C’est un classique (si j’ose dire). Mais on n’a pas attendu Gustave Le Bon (le bien nommé) pour se méfier des foules. Depuis l’antiquité et les philosophies « humanistes » (et probablement avant) y compris en extrême orient avec Confucius, la justice, les lois devaient s’extraire de l’arbitraire du plus fort y compris et surtout de la foule en colère (cf. la République de Platon). Néanmoins, de tous temps, les grands manipulateurs de foule se sont méfiés d’elle tout en cherchant à l’utiliser. Confondre la foule avec le peuple pour assoire une légitimité nouvelle face à une légitimité déjà établie est un grand classique des outils politiques à disposition d’hommes et de femmes ambitieux. L’histoire abonde d’exemples. La grande nouveauté des Hitler, Staline et autres Mao (bien trop malins et intelligents pour avoir confiance en elle) est d’avoir manipulé ces foules à un point tel, en usant et abusant des moyens qu’ils avaient à disposition et ce de manière systématique et réfléchi. C’est l’usage de la terreur sur les masses qui va radicalement et définitivement dompter les foules. Et c’est un renversement de perspective, car la terreur était l’apanage de la foule, terreur que le vulgaire manipulateur cherchait à utiliser à ses propres fins. Nos chers « démagos » utilisent l’essence même de la foule, la terreur, pour la dompter. Faire peur à la foule, quel formidable outil de pouvoir au lieu d’utiliser la terreur qu’elle peut inspirer.
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