17 mai 1908 : Rachmaninov, délices et tourments de notre belle époque

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Sergueï Rachmaninov a quitté la Russie depuis deux ans…

…pour s’installer à Dresde, qui le repose des tournées européennes triomphales.

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Il serait bien dommage de le réduire à un pianiste virtuose même si c’est ce qui l’a rendu célèbre. Des mains félines, endiablées qui courent sur un clavier, des partitions techniquement redoutables, un public fasciné par une performance hors du commun qui se lève en fin de concert en criant « bravo ». Rachmaninov est bien plus que cela.

On pourrait aussi enfermer notre homme dans un personnage craintif et hypocondriaque, terrorisé par la mort. Bon mari, père attentif, épanoui dans la chaleur d’un foyer, aimant sa Russie natale. Un être très ordinaire en somme.

Il ne serait pas de notre époque mais encore du XIXème siècle. Il n’apporterait rien de neuf à la musique. Laissons-là les pisse-froid, les coincés de l’oreille, les plumes obstinément trempées dans le vinaigre.

Ecoutons…

Rachmaninov nous plonge dans notre belle époque. Oui, c’est brillant comme l’est ce siècle qui commence avec ses automobiles vrombissantes, ses aéroplanes qui s’élancent ; brillant comme le progrès scientifique tour à tour fascinant et inquiétant, brillant comme les fêtes où s’étourdit une société qui valse sur les trois temps de journées qui ne cessent jamais.

Les notes glissent, fluides : l’époque ne s’attarde pas, n’a plus le temps. Elles laissent des impressions fugitives, font naître un sentiment ou plusieurs qui s’entremêlent et s’exposent de façon impudique.

La vague du piano joué « forte », épaulé d’un orchestre où les cordes se tendent, les archets montent et s’abaissent dans d’énergiques mouvements, font craindre un danger qui s’approche, une catastrophe qui peut tout engloutir. Une cinquantaine de violons et cuivres se liguent pour nous plonger dans quelque flot furieux ; le souffle se coupe un instant.

L’apaisement ne tarde pas. Le piano qui nous avait inquiétés nous rassure maintenant. L’époque est belle, croit en sa bonne étoile … ou fait crânement mine d’y croire. Tout cela reste après tout dérisoire, seul compte l’art et le beau. La mélodie nous porte alors dans un élan romantique au spleen bizarrement délicieux.

L’introspection ne dure guère. L’auditeur est alors happé par le roman musical qui continue. Rachmaninov se plaît à conter, nous emmène dans une histoire où son imagination interpelle la nôtre. Rencontrons-nous les créatures fantastiques du folklore russe, chevauchons-nous en direction d’une princesse endormie, sommes-nous dans une barque en direction de l’île des morts ? A chacun de répondre, de tisser les fils multicolores d’une musique qui fait briller de mille feux les artifices de notre belle époque.

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