Affiche de Jules Chéret
Etre plus vite en été, passer prestement de la fête du muguet du 1er mai à celle des fleurs d’une chaude journée d’août.
Se transporter par l’imagination d’une tradition – offrir un brin à clochettes – qui remonte à la Renaissance (le roi Charles IX en 1561 décida d’offrir chaque année aux dames de sa cour un peu de muguet) à une vraie fête populaire, reflet plus fidèle de notre belle époque.
Quitter les défilés syndicaux du 1er mai en faveur de la généralisation de la journée de huit heures, manifestations qui s’annoncent une fois de plus tendues (le Préfet Lépine redoute d’éventuels débordements à Paris) … pour une fête provinciale sans complexe et sans souci.
Rejoindre cette jolie jeune femme pimpante dans sa robe rouge vif, se laisser enivrer par les effluves des fleurs qu’elle distribue à des messieurs tombés sous son charme, reprendre encore un verre de vin de pays, chanter, danser, oublier les nuages.
Ne garder que la mémoire des plaisirs.
Une affiche de Jules Chéret fait revivre indéfiniment ce moment de joie d’un 10 août d’il y a bientôt vingt ans. Encadrée comme objet d’art en face de la table de travail, le regard se perd dans ce calendrier bizarre à date unique, dans cette année arrêtée au moment où les rires font pénétrer au plus profond de notre coeur quelques pincées de bonheur.
Mais l’heure tourne, les pétales des fleurs s’envolent, la calèche garée plus bas et oubliée un moment, reconduit des participants tous un peu soûls. Le sourire de la dame en rouge se fige.
La sonnerie du téléphone retentit. J’assure aujourd’hui la permanence du commandement au ministère de l’Intérieur. Le commissaire de police en ligne me transmet – « au nom du préfet, précise-t-il, solennel » – les premiers comptages de manifestants. Il me précise que M. Lépine rappellera dans une heure pour m’indiquer si les cortèges semblent ou non défiler dans le calme.
En attendant, fonctionnaire indispensable, garant de la sécurité de la République, unique représentant, ce jour, du Président du Conseil … mais désoeuvré dans un grand ministère vide, je guette, sans trop d’espoir, un clin d’oeil d’encouragement de la jeune femme pimpante en robe rouge.