13 février 1921 : Briand et la politique du « en même temps »

 » L’Allemagne paiera ! Ils n’ont que ce mot à la bouche ! Les Français restent dans l’illusion. Or, pour redresser la France, nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes. Et encore, à condition que la paix s’installe durablement en Europe, ce qui n’est pas acquis ! « 

Mais comment faire entendre raison à nos propres compatriotes et à leurs représentants, dans une France qui a, elle aussi (elle surtout ?) tant souffert ? L’heure n’est guère à la réconciliation et l’Allemagne demeure le diable devant dédommager la France. Exiger des réparations demeure, pour l’immense majorité de l’opinion, un devoir moral et patriotique. Et nombre de Français ne voient pas comment redresser leur pays détruit par le conflit – les combats ont eu lieu sur notre sol – sans argent frais venant du pays qui est jugé unique responsable de nos malheurs.

Longue discussion du soir avec Aristide Briand. Ce dernier a souhaité que je le rejoigne à nouveau, comme conseiller spécial, depuis qu’il est redevenu Président du Conseil. Nous sommes calés dans de grands fauteuils de son magnifique bureau du Quai d’Orsay à chercher, depuis des heures, les arguments pour convaincre la Chambre de s’adoucir avec notre ancien ennemi d’outre Rhin. Nous ne nous revendiquons pas spécialement comme germanophiles mais nous savons notre voisin épuisé par le conflit et en proie à une crise financière, sociale et morale, terrible. Exiger de lui des milliards de francs or apparaît aussi irréaliste que dangereux.

Je propose une ligne de conduite :  » En fait, il faut parler simplement aux gens. Ils ne peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre.  »

Briand, avec son éternelle cigarette aux lèvres, me regarde, amusé et intéressé. Il lâche :  » Allez-y, Olivier, continuez… »

Je reprends :  » Eh bien, soit on veut une Allemagne durablement affaiblie et donc peu menaçante pour notre sécurité, mais dans ce cas, il faut renoncer aux réparations. Soit on exige d’être intégralement dédommagés par notre voisin germanique, mais, dès lors, on admet qu’il retrouve sa dangereuse puissance industrielle et exportatrice. En fait, on ne peut embrasser les deux attitudes. « 

Briand réfléchit un moment et me rétorque : « Vous avez presque raison. Dans l’absolu… et votre cartésianisme vous honore. Mais ma politique sera, croyez-moi, légèrement différente. Nous avons un besoin vital des réparations, vu l’état lamentable de notre économie. Et pourtant, j’imagine mal, pour l’avenir, une nouvelle guerre. Aussi, lors de ma rencontre prochaine avec le premier ministre anglais Lloyd George, je demanderai en même temps l’argent allemand d’une part et, d’autre part, une vraie politique de fermeté et de diminution de la puissance belliqueuse de notre voisin. Et ainsi, je satisferai aussi bien la partie droite du parlement attachée au strict respect du traité de Versailles que mes amis, plus à gauche, qui souhaitent, avant tout, préserver la paix. En définitive, pour diriger la France, il faut cultiver le  » en même temps » ! « 

Aristide Briand et mon ami, le secrétaire général du Quai d’Orsay, Philippe Berthelot

9 février 1921 : Pas de réussite sans risque

L’aéroplane semble presque hors de contrôle. Il vole beaucoup trop bas pour franchir le bois qui se situe juste avant la piste du Bourget. Le pilote fait un effort désespéré pour redresser l’appareil en braquant les volets et en poussant les gaz. Malheureusement cela ne suffit pas. Le jury militaire – dont fait partie mon fils Nicolas – chargé d’évaluer la performance, apparaît saisi d’effroi et s’attend au pire.

Finalement, par une manœuvre audacieuse, la machine arrive à se faufiler entre les premiers arbres et évite tout choc frontal. Il racle violemment le sol et détruit son train d’atterrissage mais ne prend pas feu. Une aile semble gravement endommagée mais le pilote sort de son habitacle sain et sauf. Mon fils qui le connaît bien, l’appelle, fou de joie :  » Jean ! Nous sommes là ! Éloigne-toi vite de ton appareil ! Il peut s’enflammer violemment à tout moment ! « 

Le grand gaillard brun aux yeux clairs qui nous rejoint garde le sourire au lèvres. Il n’a pas eu peur et semble croire en sa bonne étoile. Le colonel présidant le jury s’exclame :  » Il ne va pas nous casser des aéroplanes à chaque fois qu’il monte dedans !  »

Mon fils rétorque :  » Si notre flotte était mieux entretenue, nous aurions moins de dégâts. Et Jean Mermoz a montré qu’il savait garder son sang froid et prendre les bonnes décisions. En cas de combat aérien, c’est exactement le comportement dont nous avons besoin ! « 

Un commandant grincheux maugrée dans sa barbe :  » Oui, mais doit-on prendre un pilote qui n’a manifestement pas de chance ? C’est le deuxième appareil fichu par sa faute depuis qu’il essaie d’entrer dans l’aviation militaire… Pour réussir dans la carrière des armes, il faut être un peu marié avec la providence. C’est injuste mais c’est comme ça. « 

Mon gamin se redresse de sa haute taille et rétorque :  » Avec mes amis, nous sommes en train de lancer une merveilleuse compagnie d’aviation civile assurant le transport postal entre la France et l’Espagne. Vous croyez que la chance nous sourit tout le temps ? Vous croyez qu’il fait toujours beau quand nous devons traverser les Pyrénées ? Les pilotes que nous recherchons doivent surtout avoir du courage, s’entraîner avec persévérance, ténacité. Il faut en priorité qu’ils soient malins pour se tirer de toutes les situations, même les plus périlleuses ! La chance n’est pas un facteur de recrutement chez nous ! « 

Le colonel reprend la parole :  » Le lieutenant M… a raison ! Adaptons notre sélection sur ce qui se fait ailleurs et faisons confiance au courage, qualité militaire légendaire. Mermoz, je le prends ! Il saura toujours se tirer d’affaire, j’en suis sûr ! « 

Jean Mermoz aime le risque. Vu ses multiples mésaventures récentes, cela tombe bien !

6 février 1921 : Peut-on critiquer Clemenceau ?

A-t-on le droit de critiquer un des pères de la Nation ? Est-il permis de voir une faiblesse chez mon ancien patron que je ne cesse pourtant d’admirer ?

Je viens de recevoir une belle lettre de Georges Clemenceau qui me donne de ses nouvelles pendant son voyage en Asie et notamment en Inde. Le courrier se révèle plaisant et la plume de l’ancien chef d’Etat toujours aussi alerte. C’est même avec beaucoup d’humour que son auteur décrit le mal qui l’a atteint à Calcutta et qui a failli l’emporter. Bref, une fois de plus, en lisant lentement chacune de ses lignes comme on boit un bon vin : je suis sous le charme.

Et puis, à la fin de la missive : patatras ! Presque tout s’effondre quand Clemenceau me fait part de ses succès de chasseur de tigres et se fait photographier, fièrement, devant les cadavres de plusieurs d’entre eux qu’il vient de tuer. Volonté de puissance ? Participation à une chasse entre dirigeants à laquelle il ne pouvait se dérober ? Passion soudaine pour un sport plutôt dangereux mais demandant du sang-froid et une implacable précision (qualités incontestables de l’ancien premier flic de France ) ? Je ne sais.

Mais les photos de Clemenceau me mettent mal à l’aise. Je n’y vois que de la cruauté gratuite. Vision de Parisien éloigné des charmes et des plaisirs de la campagne ? Peut-être. Mais les tigres ensanglantés, ils n’avaient rien demandé. Juste de rester les rois dans leur immense jungle.

Quand le Tigre tue des tigres, il participe à un plaisir aristocratique médiocre bien éloigné des hautes missions qui l’ont porté jusque-là.

Mais, je me dis qu’il montre – enfin – un authentique défaut. Une faiblesse, lui, le surhomme ! Et, à y réfléchir un peu, il n’en est que plus sympathique pour ses admirateurs dont je continue à faire partie.

Clemenceau, après avoir vaincu les ennemis de la France, se lance dans des chasses plus contestables…

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