Nous avions tout soigneusement préparé et cette conférence de Washington devait se transformer en succès diplomatique pour la France en général et mon patron, Aristide Briand, en particulier.
Le thème du désarmement retenu par les Américains organisateurs demeure particulièrement glissant pour un pays comme le nôtre qui conserve encore toutes les traces, sur son sol et dans sa chair, d’un conflit atroce de plus de quatre longues années.
Pour faire taire l’opposition probable de nombreux parlementaires français, notre tactique était donc la suivante :
– axer la conférence sur les seuls armements navals et ainsi ne pas affaiblir notre armée de terre face à un voisin germanique potentiellement revanchard et belliqueux ;
– jouer des rivalités inévitables entre nos alliés pour se poser en arbitre incontournable de la négociation du format des différents flottes de guerre.
Patatras ! Briand m’écrit ce jour, de Washington, que nous nous sommes faits rouler dans la farine.
Il vient de découvrir que le secrétaire d’Etat Hugues et le chef de la délégation britannique Lord Balfour se sont mis d’accord avant notre arrivée ! Les dés sont pipés et la proposition mise sur la table de réduction du tonnage des différentes flottes est déjà actée par les deux grandes puissances. La France ne fait plus vraiment le poids pour s’opposer. D’autant plus que l’Italie obtient un quota équivalent au nôtre. Ce qui est flatteur pour elle et garantit son adhésion à l’axe anglo-américain.
La conférence ne sert presque plus à rien : nous n’avons plus qu’à refuser de signer en nous isolant de tous, ce qui est dangereux… ou alors, nous acceptons et suivons le projet américain et l’opinion publique française se retournera contre nous.
Le piège se referme. De la part de nos alliés qui connaissent bien Briand et savent sa position fragile, c’est un coup de poignard dans le dos.
Briand est furieux. Et son vieux rival Poincaré en profite pour le dénigrer dans les couloirs de la Chambre : » Eh oui, les négociations internationales restent un exercice bien difficile pour notre ami Briand. En outre, sa légendaire éloquence ne lui sert à rien : il ne parle pas anglais ! »
C’est bas comme remarque. Mais ô combien efficace : les députés gloussent et ricanent. Le retour en France de mon patron s’annonce nuageux.
