Tout avait pourtant bien commencé. Aristide Briand était monté tranquillement à la tribune de la Chambre et, dans un discours parfaitement maîtrisé, il avait égrainé un à un les différents arguments que nous avions préparés ensemble. Le gouvernement avait su prendre les dispositions nécessaires pour mettre fin à la dangereuse grève des cheminots.
- La troupe était intervenue massivement mais sans violence ;
- l’ordre avait été rétabli vite, réduisant donc le danger pour la sécurité du pays ;
- les sabotages effectués par certains démontraient l’urgence de l’intervention ferme de l’État
- contrairement aux racontars, il n’y avait pas de crise gouvernementale et il n’existait aucune preuve formelle de dissensions avec le ministre du travail Viviani etc…
Le Président du Conseil Aristide Briand devant la Chambre
Tout cela tournait rond. Les trains roulaient à nouveau, le pays avait repris son activité normale et il suffisait de convaincre les députés de la qualité du travail de l’exécutif.
Jaurès se montrait, comme d’habitude, en pleine forme mais restait peu suivi. L’extrême gauche poussait ici et là des hurlements mais rien que de très habituel.
Bref, la partie était presque gagnée. Le vote de confiance se profilait, massif, incontestable. Un succès politique pour mon patron Aristide Briand. La sanction positive de la mobilisation de toute sa garde rapprochée.
Soudain, patatras !
Briand prononce la phrase de trop : « Et je vais vous dire une chose qui va vous faire bondir : si le gouvernement n’avait pas trouvé dans la loi de quoi rester maître de ses frontières et de ses chemins de fer, c’est à dire de l’instrument nécessaire à la défense nationale, eh bien ! Dût-il recourir à l’illégalité, il y serait allé ! »
Propos énormes dans une France où la Loi fait l’objet d’un « culte », au sein d’une Chambre pétrie de principes républicains, se méfiant de tout retour à l’autoritarisme monarchique ou impérial.
La clameur, immense, commence à gauche puis se répand dans tout l’hémicycle. Cris, claquements de pupitres, descente des marches et encerclement de la tribune par plus de 150 parlementaires déchaînés : « dictateur, démission, c’est une honte ! »
Mais pourquoi Briand a-t-il dit cela ? Je suis atterré. Tout notre patient travail pour remettre en marche le pays s’effondre, d’un coup. Si rien n’est fait, Briand va tomber. Ce soir, demain ?
Après un bref instant de découragement (l’envie de tout plaquer), je serre les dents, oublie la fatigue accumulée, laisse ma colère de côté. Je vais travailler toute la journée et s’il le faut toute la nuit, avec mon Patron, pour le sauver de ce mauvais pas.
A suivre…
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Comment interpréter cette bévue de Briand ? rejoignez le groupe des amis d’Il y a un siècle…
L’indignation bruyante de ces députés me paraît quelque peu factice.
Après tout, Aristide Briand ne fait que décrire rhétoriquement la pratique même de son célèbre prédécesseur, Mr Clemenceau, dont il fût l’un des ministres. Celui qui se dénommait fièrement « le premier des flics de France » ne s’interrogeait guère sur la légalité des moyens qu’il faisait utiliser (type révocation préventive de fonctionnaires ou « achat » de syndicalistes) pour intimider les syndicats et briser des grèves comme celles des électriciens, des boulangers ou encore celle d’une partie des instituteurs, pour ne pas parler de l’emploi quelquefois disproportionné de la force lors de la crise du Midi viticole.
Tout le monde sait en outre, c’est un secret de polichinelle, que les préfets tiennent, dans chaque département, en toute illégalité républicaine, des listes secrètes de personnes potentiellement dangereuses, donc anarchistes, cégétistes ou socialistes, à arrêter en cas de troubles lors d’une mobilisation générale.
Depuis la crise de Tanger en 1905 le risque d’un conflit avec l’empire Allemand s’est grandement accentué. En ces temps de tension sourde et de course aux armements, l’ordre républicain, se veut, plus que jamais, indissociable de l’ordre social.
Bye
Olivier Stable
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