Pour le retour de mon ex-patron, Georges Clemenceau, j’avais préparé deux beaux discours possibles qu’il pouvait prononcer à la gare d’Orsay, en sortant du train.
Le premier document, le plus copieux, évoquait son séjour en Amérique latine, montrait le progrès de l’idée démocratique en Argentine et au Brésil, risquait une comparaison avec l’Athènes de Pericles et les mœurs de notre République parlementaire et finissait par une réflexion aussi prospective qu’audacieuse sur les qualités des chefs d’État de demain dans un monde rétréci par les progrès du télégraphe, du téléphone et qui sait, des aéroplanes.
Georges Clemenceau revient d’Amérique latine
Le second paquet de feuilles, un peu plus léger, se concentrait sur les universités de Buenos-Aires et celle de Sao Paulo, faisait un point sur l’enseignement à destination de la jeunesse dans le monde occidental et proposait quelques réformes destinées à asseoir un peu plus l’idée de république dans l’esprit des étudiants et futurs citoyens.
Dans les deux cas, j’avais soigné le style et je m’étais inspiré de ce que Clemenceau avait l’habitude de dire. J’utilisais son sens inné de la formule, je respectais son souci de faire des phrases courtes, toutes nécessaires et porteuses d’une seule idée clef. La démonstration devait aussi rester rigoureuse et honnête.
J’avais remis les deux discours, dactylographiés par ma secrétaire, à son frère Albert que je connais bien. Ce dernier m’avait chaleureusement remercié d’avoir rédigé deux séries de feuillets, laissant ainsi le choix au grand homme, en fonction de son humeur du moment. En lisant les lignes préparées, il avait même dit : « On dirait vraiment du Georges dans le texte ! Cela se voit que vous êtes un collaborateur de confiance. »
Inutile de vous dire que j’étais donc impatient de découvrir ce que Georges Clemenceau allait dire aux multiples personnalités qui se pressaient, avec moi, sur le quai de gare, à l’attendre au retour de son voyage. Je serrais la main du préfet Lépine, des ambassadeurs d’Argentine et du Brésil, du directeur de la sûreté générale, M. Hennion, de mon ex directeur de cabinet Winter, de Georges Mandel. Toute la presse était là, la grande et la populaire ; les carnets de journalistes étaient ouverts, les crayons taillés attendaient fébrilement les précieux propos de l’ex président du conseil. Ses phrases issues de « mes » mots, ses idées s’appuyant sur « mon » travail… son succès public allait être ma satisfaction privée.
La porte du wagon s’ouvre. Clemenceau sert tranquillement les mains, fait quelques bises aux femmes proches, sourit, tape sur des épaules, pince un vieil ami. Il rit, souffle d’aise, mais ne dit rien…
Les journalistes s’approchent et deviennent pressants, veulent de l’information chic, de la nouvelle choc. Albert Clemenceau tend avec insistance à son frère mes deux discours, l’air de dire : « tout est là, vas-y ! » Lequel va-t-il choisir ?
L’automobile qui doit conduire le grand homme chez lui, a son moteur qui tourne. Le chauffeur ouvre la porte respectueusement.
Toujours de bonne humeur mais silencieux, Clemenceau commence à prendre place. La petite foule trépigne, exige quelques mots.
Le Tigre jette alors négligemment mes feuillets sur la banquette, sans même les regarder. Hilare et les yeux pétillants, il lance, à tous, cette unique phrase, avant de démarrer en trombe: « Vous direz que… j’ai découvert l’Amérique ! »
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Un groupe sympa pour se plonger un peu plus dans l’ambiance Belle Epoque…
Bonjour OLIVIER LE TIGRE,
Je vous remercie pour cette belle idée sur votre blog.
Je suis une ADMIRATRICE de Monsieur Georges Clemenceau
– sans accent – Merci pour LUI …….
Je vous ai envoyé un mail personnel.
Une compatriote du TIGRE.
N’oubliez pas d’aller voir sa BICOCQUE à JARD-sur-MER !!!!
C’était un HOMME JUSTE, dur avec CERTAINS et Très très HONNETE et
BONS avec d’autres !!
Je vous souhaite une très belle journée.
Cordialement.
NiCole –
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