Nous nous détestons. Le conseiller auprès du Président du Conseil et ministre de l’Intérieur que je suis ne peut pas comprendre l’armée : « Vous êtes plutôt un flic ! » me répète-t-il souvent avec un pointe de mépris. Je lui retourne en m’efforçant de rester de calme : « Et vous, un officier figé au garde à vous devant de vieilles théories ! »
Le général Foch, directeur de l’Ecole de Guerre apprécierait de ne plus avoir à gérer un professeur vacataire comme moi. Cela me serait en retour plus facile de ne pas être obligé de prendre mes distances, dans chacun de mes cours, par rapport à la doctrine officielle du haut commandement de l’Ecole.
Nos points de divergence ? Foch et une bonne partie de l’État-Major ne jurent que par Napoléon et la stratégie du grand homme. Ses batailles gagnées sont décortiquées et servent de base pour l’enseignement aux futurs généraux de l’armée française. La victoire de demain contre l’ennemi (forcément) teuton se trouve dans les géniaux mouvements de troupes d’Austerlitz ou de Wagram.
Je ne cesse de regretter cette vision sclérosante qui ne tient pas compte des progrès de l’artillerie (canons à tirs rapides), du déclin de la cavalerie (les charges ne servent pas à grand-chose face aux mitrailleuses) et de l’émergence de l’aéronautique. En citant les guerres récentes en Afrique du Sud ou en Mandchourie, j’insiste aussi sur l’importance de la logistique, des communications, du renseignement ou sur la difficile combinaison entre attaques terrestres et maritimes.
La guerre russo-japonaise de 1905 devrait nous aider à imaginer les conflits de demain
Foch m’écoute un instant et balaie mes arguments : « Le vocabulaire de la guerre s’est enrichi mais sa grammaire n’a pas changé. Les principes napoléoniens restent pertinents. « C’est toujours le grand nombre qui bat le petit » nous aide à frapper l’adversaire même quand, globalement, nous sommes en infériorité numérique : « Fixer l’essentiel de l’adversaire avec peu de troupes et l’attaquer sur un point névralgique avec beaucoup de divisions. » demeure un principe stratégique précieux.
Il s’enflamme : « Et je ne parle pas des méthodes pour couper les communications de l’adversaire. Et cela, ce ne sont pas les Boers ou les Japonais qui vont nous l’enseigner ! »
Je réponds, imperturbable : « Vous ne vous rendez pas compte que les conflits du XXème siècle sont des guerres de nations en armes engageant des centaines de milliers d’hommes voire des millions. Et la donne change forcément. »
Foch rétorque : » Des nations en armes ? Eh bien, qui mieux que Napoléon victorieux peut nous aider à penser la Nation levée et mobilisée contre l’ennemi de la Liberté ? »
Il n’y a (heureusement) pas que Foch, le tacticien tant admiré de ses élèves, l’homme de « l’offensive manoeuvrière », qui dispense ses lumières à l’Ecole de Guerre.
Il y a aussi son second à l’école, le général Lanzerac, guère partisan lui de l’offensive à tout crin (sa formule choc est « Attaquons, attaquons…..comme la lune!) ou encore le lieutenant-colonel Pétain (mais il serait semble-t-il sur le point d’étre nommé à la tête du 33ème d’infanterie à Arras), l’homme qui a découvert que le feu tuait, « l’offensive c’est le feu qui avance », « la défensive c’est le feu qui arrête ».
Nos penseurs militaires sont brillants, il ne reste plus qu’à voir ce qu’ils donneront sous le feu de……l’action!
Bye
Olivier Stable
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Ainsi la guerre était-elle déjà une affaire trop sérieuse pour la laisser…. aux seuls politiques, ou à leur aréopage courtisan!
Car Foch avait raison.
Et ceux que l’étude de la guerre ne rebute pas apprécient sa réponse magistrale: « le vocabulaire de la guerre s’est enrichi, mais sa grammaire n’a pas changé. » Et ce haut et brave fonctionnaire tout à son plaisir de tancer un grand soldat, n’a pas compris que par la voix de Foch c’est Clausewitz qui répliquait : « la guerre est un caméléon.., » seule son apparence change dans la contingence. D’ailleurs ce terme de « grammaire » a été repris par le général Beaufre à propos de la stratégie, « grammaire » que l’on pourrait aussi nommer « algorithme » de la guerre. Pour insister dans cette novlangue, osons dire que si le hardware de la guerre suit la loi de Moore, son software a de profondes rémanences. Le duel des centres de gravité clausewitziens par exemple, est un concept qui traverse les guerres, parce qu’il en est l’essence. Mais nous sommes certains que les hauts fonctionnaires d’aujourd’hui -et les journalistes- ne méconnaissent pas ces rudiments de stratégie quand ils se collettent avec la guerre!
Jean-Pierre Gambotti
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Mr Gambotti,
Si on se réfère aux deux ouvrages publiés à partir de ses conférences à l’école de guerre, Les Principes de la Guerre (1903) et La Conduite de la Guerre (1905), on ne peut nier que le colonel puis général Foch, ne cite Clausewitz (et celui qui la mit en pratique en 1870, Moltke)d’abondance dans ses leçons magistrales.
Cependant, dire en ce début de 20ème siècle que les guerres à venir répondront aux mêmes schèmes fondamentaux découverts il y a un siècle par un penseur, tout grand qu’il soit, suite aux bouleversements apportés par le surgissement en Europe des armées républicaines puis impériales françaises, me semble problèmatique.
Il aurait pu lire avec profit les six tomes de l’oeuvre majeure de l’allemand Jan Bloch « La Guerre Future », traduit en français en 1898 et dans laquelle celui-ci pronostique, du fait des progrès techniques rcents, l’échec des mouvements offensifs devant la supériorité des armées retranchées et l’arrivée de la guerre totale épuisant à terme les ressources économiques des belligérants, du fait de l’impossibilité de rompre l’impasse militaire sur d’immenses champs d’opération.
Bye
Olivier Stable
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J’ajouterai que certains auteurs déjà commençait à douter de la pertinence des schémas tactiques et stratégiques de leur temps. Le colonel Ardant du Picq avait déjà mis en garde contre l’utilisation de masses importantes de troupe qui pouvait se réveler improductive voir desatreuse. En plus depuis 1870 la qualité de l’armement (tant sur mer que sur terre) s’est incroyablement améliorée sans qu’aucun conflit majeur (sauf contre le Japon) ne permette de mesurer ses progrès destructeurs.
Le souvenir de moins d’un siècle de la gloire napoléonienne semble obscurcir tout esprit critique sur la conduite de la guerre.
Les Russes ne semblent pas avoir mesurer le caractère de leur défaite en Mandchourie et l’Allemagne semble à peine mieux disposée à une révolution tactique dans l’utilisation de la troupe.
Il parait qu’un obscure colonel Pétain y prête pourtant une attention plus critique.
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Parlons clair. Ce « penseur » du 19°siècle n’a pas découvert simplement « les schèmes fondamentaux de la guerre », mais il a déconstruit l’approche empirique de la stratégie et construit la grammaire de la guerre, pour reprendre l’excellente formule de Foch. Il faut se rendre à l’évidence, Clausewitz, par son approche anatomique de la guerre a inventé les principes essentiels qui la réagissent. Ces principes ne font pas une théorie, Clausewitz s’en défendait, mais l’organisation de ces principes en méthode permet de concevoir l’action de guerre, et j’insiste, pas simplement d’opérations contingentes, je veux dire de la Guerre quelle que soit sa nature. Et à mon sens nous pourrions aller plus loin. Le général Beaufre se posait le problème de la praxéologie, cette science de l’action qu’il appelait de ses vœux, je pense que De la guerre apporte ces bases fondamentales de l’action, ces bases qui au-delà de la guerre organisent l’action universelle.
Doublement vaniteux donc, non seulement je pense que les principes clausewitziens ont une pertinence stratégique qui traverse toutes les guerres, mais de surcroît j’imagine qu’ils sont omni-valents !
Mais je vous invite à réfléchir au concept de trinité ou de centre de gravité par exemple pour mesurer le génie de Clausewitz et son universalité.
Bien à vous.
Jean-Pierre Gambotti
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