30 décembre 1908 : La « belle » solidarité française en faveur des Italiens

Pendant que les Siciliens souffrent à Messine à la suite de l’horrible tremblement de terre, les réunions interministérielles à Paris s’enchaînent à un rythme soutenu. Que faire pour aider les Italiens ? Comment coordonner l’élan de générosité populaire des Français en faveur des zones sinistrées ?

Il faut, à la fois, annoncer des mesures rapides et ne pas céder à la précipitation qui conduirait à la mobilisation de ressources inutiles.

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Messine, le port dévasté à la suite du terrible tremblement de terre et raz-de-marée du 28 décembre 1908 qui ont fait plus de 120 000 morts

Le polytechnicien Picard, tout nouveau ministre de la Marine, prend les choses bien en mains et sait former un tandem habile avec Caillaux, ministre des Finances.

Picard :

– Il faut être très réaliste. Pour sauver des vies humaines, nous arriverons en grande partie trop tard. Seules quelques personnes très robustes peuvent survivre au-delà de trois jours coincées dans les décombres. Mais, en hiver, sans eau, sans soin, une grande partie des habitants de Messine ensevelis ne pourra être secourue.

Je propose l’envoi de deux cuirassers : le « Vérité » et le « Justice » . Ils seront utilement accompagnés par deux contre-torpilleurs plus rapides et légers : le « Carquois » et le « Cognée ».

Je prends des notes et j’interroge :

– Et que feront-ils sur place ?

Picard :

– Ils affirment solennellement la présence française. Deux cuirassers, cela se voit, cela impressionne !

Et concrètement, au-delà de la « gesticulation » destinée à rassurer la grande presse et l’opinion, ils feront ce qu’ils pourront. Ils auront des vivres frais, de l’eau potable, des couvertures, des médicaments, des médecins militaires… sur place, la désorganisation de toute la vie urbaine rendra leur tâche très difficile. La discipline des marins sera alors un atout.

J’ai pris mes renseignements avant de venir en réunion et prévient le ministre Picard :

– J’ai vu ce matin l’ambassadeur d’Italie, le comte Gallina et nous avons joint ensemble le préfet Orsi, seul représentant du gouvernement italien sur place. Il faut vous attendre à une situation terrible. Les survivants meurent de faim, de froid. Ils sont épuisés. Les pillages sont journaliers. Les premières distributions de vivres se traduisent par des émeutes.

Notre propre ambassadeur à Rome, Camille Barrère, confirme cet état des lieux lamentable.

Picard devient sombre :

– Il ne faut pas attendre de nos marins des miracles. Ils n’auront pas d’engins de levage permettant de dégager les décombres, il faudra faire beaucoup de choses à la main. Leurs vivres, leur eau douce, ne seront pas non plus inépuisables.

Bref, il faut anticiper de grosses déceptions dans notre capacité réelle à aider les Siciliens. J’espère que la censure sur place sera rigoureuse. Je ne veux pas voir mes marins mis en cause dans les journaux alors qu’ils feront leur devoir au mieux.

Je le rassure :

– Pour le filtrage des informations à destination de Paris, cela a été vu aussi. Comme souvent dans ce genre de drame, la censure sera peut-être la seule action pleinement efficace… (je me permets cette ironie désabusée).

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Messine, les premiers secours s’organisent avec peine…

Caillaux prend alors la parole :

– Allons, messieurs, ne cédez pas au découragement ! J’ai organisé avec la Banque de France le système de souscription nationale qui va permettre de coordonner l’élan de générosité publique. Les trésoriers payeurs généraux, les percepteurs transmettront les fonds collectés en province à la Banque de France de chaque département et tout cela remontera à Paris pour partir ensuite à Rome. Nous montrons ainsi avec force la générosité entre peuples latins (il faudra reprendre ce terme pour la presse).

Nous pouvons déjà annoncer les noms des premiers généreux donateurs : les Rothschild Frères 100 000 francs, la Compagnie du Canal de Suez 25 000 francs, le Crédit Lyonnais 25 000 francs, le Président de la République enfin : 25 000 francs…

Et vous messieurs ?

Sourires gênés, toussotements, silence…

Stephen Pichon, ministre des affaires étrangères, qui n’a encore rien dit, propose d’une voix faible :

– Le Conseil des ministres donnera, par exemple, 12 000 francs. Nous verrons ensuite entre nous qui donne quoi.

Proposition habile qui repousse le moment où chacun devra regarder les sommes disponibles sur son compte en banque pour faire un gros chèque.

Au moment de nous séparer, Picard raconte une anecdote sordide :

– Figurez-vous que la Poste italienne s’interroge sur la distribution des colis d’étrennes en début d’année 1909. Beaucoup de familles réparties sur le royaume italien vont recevoir des paquets en provenance de parents de Messine. Et ces envois viendront de personnes décédées depuis. Quelle ambiance terrible quand ils vont ouvrir les colis ! Tout cela est macabre…

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Messine 1908, les premiers travaux de déblaiement

Un commentaire sur “30 décembre 1908 : La « belle » solidarité française en faveur des Italiens

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  1. Les débuts de l’action humanitaire d’aujourd’hui semblent bien difficiles!

    Voilà au moins un domaine dans lequel des progrès ont été faits: la logistique d’urgence.

    J’aime

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