5 et 6 décembre 1908 : Comment on débarque un amiral

 » Vous me le cassez de son commandement ! Si cet amiral a quelque chose à dire sur l’état de la Marine, il s’adresse à sa hiérarchie, pas à la presse !  »

Le ton monte entre Georges Clemenceau furieux et le ministre de la guerre Picquart qui tente de couvrir son subordonné.

Le valeureux amiral Germinet, commandant l’escadre de la Méditerranée a franchi une ligne rouge : il a fait part à divers journaux de l’état lamentable de nos arsenaux et du mauvais équipement de nos navires de guerre. A l’en croire, les croiseurs, les cuirassers manquent de poudre, d’obus, de pièces et matériels de rechange. Si je comprends bien ses propos, nous pourrions imaginer que lors d’une bataille, ils soient obligés de cesser le combat faute de munitions. Fâcheux.

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Le vice-amiral Paul Louis Germinet

Cet officier de haut rang a rédigé de nombreux rapports qui n’ont pas été suffisamment suivis d’effets. Il se tourne maintenant vers des journalistes avides de révélations.

Georges Clemenceau ne décolère pas et se tourne vers moi :  » vous me le faites venir de Toulon, ce lascar et au prochain Conseil des ministres, c’est la porte !  »

Avec Picquard, nous nous efforçons de raisonner le Patron :

 » Paul Louis Germinet est un patriote. Il ne cherchait pas à vous mettre en difficulté mais voulait tirer la sonnette d’alarme.  »

La réponse est cinglante :  » J’ai déjà assez de la Chambre remplie de donneurs de leçon pour que je n’aille pas m’embarrasser des états d’âme des militaires ou autres fonctionnaires ! A cet amiral, il va falloir apprendre… le silence dans les rangs !  »

Calmement, je m’efforce d’argumenter sur le seul terrain où je pense avoir une prise sur le Président du conseil :

 » Germinet est un haut gradé très apprécié dans la Marine et reconnu au-delà. Ce qu’il dit n’est pas totalement faux même s’il a un peu exagéré sans doute. Si nous le sanctionnons trop fort, nous en faisons une victime voire un martyr. Maintenant qu’il a porté le débat sur la place publique, chacun de nos gestes sera observé. L’opinion s’attend à une sanction de l’amiral -pas trop forte – mais aussi et surtout à des réformes dans notre marine. La Chambre prendra aussi facilement la défense du faible (l’amiral) contre le fort (vous). Le réalisme comme le rapport de force nous invitent à une certaine clémence.  »

Deux jours plus tard après avoir été convoqué par Picquard, Germinet est reçu, à sa demande, par Clemenceau.

ll expose avec compétence et conviction la situation de notre flotte. Il insiste sur ces matériels entreposés dans de grands entrepôts et qui ne servent plus à rien dans une marine moderne : voiles, pièces de réparation en bois, goudron pour calfater… Il rappelle les recherches qui sont effectuées actuellement pour fabriquer la meilleure poudre possible et indique que pendant ce temps, les achats et les livraisons ont été interrompues dans ce domaine. Les stocks s’épuisent donc.

Clemenceau l’écoute d’abord avec attention puis l’interrompt sèchement :

 » Tout cela est sans doute bel et bien exact mais un officier doit savoir contenir ses ardeurs en matière de communication.

– Monsieur le Président, les projets budgétaires du gouvernement vont dans le bon sens et une ligne est prévue dans la loi de finances pour redonner de nouveaux moyens à la marine. J’ai voulu sensibiliser l’opinion et donc les contribuables de l’utilité des efforts financiers à consentir dans ce domaine.

– Monsieur l’amiral, chacun son métier. Vous, c’est de conduire des bateaux, moi, de conduire la Chambre et l’opinion publique. Si chacun faisait ce pour quoi il est payé dans votre marine, il y aurait peut-être moins de navires échoués (NDLR : allusion au drame du Condé) ou d’explosions mortelles.  »

L’amiral ne dit plus rien. Il a les larmes aux yeux. Clemenceau s’adoucit :

 » Germinet, vous êtes un cadre de valeur. Je souhaite que vous puissiez continuer à servir au mieux la marine avec vos talents qui sont grands. J’y veillerai. »

Quand l’amiral nous a quitté, Clemenceau me prend à part :

 » Vous verrez, demain ou après demain, cet entretien soit disant secret, sera dans toutes les gazettes et on le citera à la tribune de la Chambre. Mes propos seront amplifiés et déformés. Quant aux larmes de Germinet, elles arroseront les plantes venimeuses et carnivores qui ont juré ma perte. »

Il tourne alors les talons et s’enferme dans son bureau après avoir claqué la porte.

Demain, Germinet sera relevé de son commandement.

14 commentaires sur “5 et 6 décembre 1908 : Comment on débarque un amiral

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  1. Voila une manière de traiter les problèmes, ici, de la marine, que je qualifie d’exemplaire. Clémenceau était un patron, le ministre Picquard un peu léger. Il fallait certes une sanction mais la suite ne dit pas ce qu’il est advenu de l’amiral dont Clémenceau souhaitait qu’il continue à servir au mieux la marine qui était en réalité le coeur du problème.

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    1. L’amiral Germinet était courageux. Connaissant Clemenceau il savait ce qu’il risquait. Il a fait ce qu’il estimait son devoir.
      Clemenceau a montré plus tard son entêtement (d’autre disent « sa détermination ») : durant l’abominable conflit de 14-18 il aurait pu épargner quelques millions de victimes s’il ne s’était pas opposé à la médiation des pays neutres qui aurait pu mettre fin à la guerre.
      Je suis fier de compter l’amiral Germinet dans mon ascendance.

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  2. Monsieur l’amiral, chacun son métier.
    Vous, c’est de conduire des bateaux, moi, de conduire la Chambre et l’opinion publique.

    en 1908 on manipulé dejas les opinions.
    nous somme en 2008 et rien na changer.
    c’est grave quand meme de voir qu’ils nous prennent pour des c..

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  3. tres interessante cette histoire.je ne pense que les rapports des individus ont changés .et cet exemple montre bien la complexité de gouverner et aussi celle d’informer.cet amiral a eu beaucoup de courage mais il est vrai qu’il etait tenu à une certaine reserve .toute la difficulte des responsabilites est bien montrée.

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  4. sur les vrais raisons de Clemenceau, sa reelection comme depute suite aux plaintes des commercants de Toulon [chef lieu] qui se plaignaient aue les marins etaienttoujours en mer.
    voir doc.rero.ch/lm.php?url=1000,25,1,19090907_206_04.pdf

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  5. L´amiral avait raison. Le fait est que dans le Continent on n´a jamais complètement compris que la marine était importante, autant ou plus que l´armée de Terre. Les anglois, par contre, misaient tout sur la marine, eux qui ne sont qu´une île. De là les défaites terribles et cuisantes face à la perfide Albion. La déroute de l´Armada Invencible de l´empire español , celle non moins cuisante â Trafalgar (Cadiz) des marines françoises et españoles sous Napoleon. Et nous voyons bien que cela continuait en 1908,

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  6. Et cela continue avec les etatsunis qui ont compris que l´extention et/ou continuation de l´empire se fait avec l´appuie de la mer (regardez le nombre de porte-avions amers-loques, et le nombre des nôtres). mais lwes amirauz, même s´ils ont raison ne devraient pas pleurer (pour attandrir?), à moins que le pleur ne fusse sincère.

    Ils manipulent toujours l´opinion

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  7. descendant de l’amiral par ma grand-mère, je peux dire qu’il a eu une carrière extraordinaire. Il est mort en 1914 avant la guerre. Une foule immense a suivi les obsèques qui ont même été filmées pour les actualités cinématographiques.

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      1. moi aussi je suppose être descendant de cet admiral !!! enfin on me fait croire que c’est lui !!! je fais mes recherches et on verra bien

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  8. Franchement, je regrette de ne pas avoir connu ce grand Monsieur. en lisant cet article parlant de lui et les grosses de la politique, je suis fière que cet Amiral ait pu alerter l’opinion publique afin de révéler ce qui se passe avec hauts personnalité qui ne font rien de bon…. En vérité, ce qu’il a fait, c’est ce que j’aurais fait, je perçois son fort caractère rt je me reconnais. Il n’a pas eu froid aux yeux d’affronter le pouvoir politique. Cet homme est mon arrière grd-père, je vis en Polynésie et je suis très fière de voir mon caractère à travers son histoire, je sais aujourd’hui de qui je tiens.

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    1. Je tiens à remercier tout le parcours de notre regretté arrière grand père et j’en suis très fière comme dis ma cousine TEMANAHA SOLANGE je sais de qui je tiens mon caractère je vis en Polynésie

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  9. moi aussi descendant de cet amiral à la différence ou les enfants de ma grand mère qui sont du deuxième lit sont rejeté par ceux du première lit . Mais me connaissant ( de fort caractère aussi je ferais mes recherches jusqu’au bout et personne ne me retiendra … Et oui nous voulons tous savoir de quel ancêtre nous descendons *-*

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