3 et 4 août 1908 : Eviter à tout prix l’explosion sociale

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Manifestations de Draveil et Vigneux, arrestation des chefs de la CGT : après la répression, le gouvernement cherche l’apaisement.

L’appel à la grève générale lancé par la CGT à partir d’aujourd’hui est un échec. Les dirigeants de ce syndicat sont sous les verrous, arrêtés hier pendant une réunion du comité confédéral.

Les ouvriers des sablières à Draveil, Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges, lassés par leur long conflit, épuisés par un rapport de force qui tourne en leur défaveur, ne demandent aussi qu’à reprendre le travail.

Victoire des patrons, succès de la ligne ferme du gouvernement ?

Pas vraiment.

L’opinion publique, la presse et de nombreux députés restent très réservés par rapport à l’option répressive choisie par le Président du Conseil. Le triste sort des carriers au métier si ingrat et aux salaires si bas, ne laisse pas indifférent. Il apparaît légitime à beaucoup que la sortie de grève se traduise par, au moins, quelques avancées sociales en leur faveur.

Les chefs cégétistes arrêtés, aidés par quelques avocats idéalistes, commencent à réunir des preuves de leur innocence par rapport aux violences contre les forces de l’ordre survenues ces derniers jours à Draveil et Vigneux. En lisant les journaux, on sent que Griffuelhes, Yvetot et Pouget (pour ne citer que les plus connus) ne vont pas tarder à être transformés en martyrs.

Après avoir été ferme, le gouvernement doit donc faire des gestes d’apaisement, sous peine de perdre rapidement tout soutien.

Viviani, ministre du travail, convoque la fédération du bâtiment. Il lui demande de faire pression sur les patrons des sablières pour qu’ils annoncent des mesures permettant la reprise du travail des ouvriers. Le gouvernement indique, d’emblée, que l’augmentation de 5 centimes l’heure travaillée, la limitation de la journée du travail à 10 heures et la suppression des débits de vins des compagnies dont la fréquentation était devenue, dans les faits, obligatoire, constitueraient une avancée positive.

Pour ma part, j’accompagne Briand, garde des sceaux, qui fait jouer ses relations avec l’état major de la CGT, pour convaincre ce syndicat d’adopter une ligne plus modérée. Plusieurs rendez-vous sont fixés avec Jean Latapie, responsable de la fédération de la métallurgie, que le gouvernement a décidé de laisser en liberté. Ce dernier doit nous aider à trouver un compromis permettant à tous les protagonistes de sortir de la crise la tête haute.

Première avancée : les manifestations de soutien aux leaders cégétistes incarcérés, prévues au départ dans toutes les grandes villes de France, sont déprogrammées par la CGT, spontanément, à chaque fois qu’un préfet indique qu’elle risque de tourner à l’émeute.

Deuxième geste, en retour : j’ai une rencontre discrète avec le juge d’instruction saisi du dossier des chefs syndicaux venant d’être arrêtés. Je lui indique que le gouvernement donnera des instructions très modérées au parquet et que la police ne mettra pas beaucoup de zèle à réunir des preuves de la culpabilité de Griffuelhes, Yvetot et Pouget . Le magistrat, qui n’est pas né de la dernière pluie et sait comprendre les enjeux politiques, me répond : « Monsieur le conseiller, j’ai parfaitement compris votre message. Transmettez au gouvernement que je veillerai à informer le parquet de mes intentions. Dans cette affaire délicate, la chancellerie peut me faire confiance pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. »

Clemenceau, de son côté, réunit les principaux ténors du parti radical et indique que le gouvernement n’a pas l’intention d’aller plus loin dans la répression. Notamment, il fait part de son opposition à l’option proposée par certains membres de la majorité de dissoudre la CGT.

Allons-nous vers l’apaisement ?

Nous sommes assis sur un baril de poudre. Tout geste maladroit peut entraîner l’explosion. J’ai pour autant l’impression, aujourd’hui, que chacun s’efforce de ne surtout pas commettre ce fameux geste maladroit qui ne ferait que des perdants. A la CGT, à la Chambre comme au gouvernement, la raison semble l’emporter. Pourvu que cela dure.

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