Répétition pour le grand défilé du 14 juillet 1908 qui a lieu, comme chaque année, à Longchamp, devant le Président de République Armand Fallières et les membres du gouvernement Clemenceau
Préparer le défilé qui a lieu comme chaque année à Longchamp. S’assurer que tout va bien se passer. Etre l’interface entre l’état major et le pouvoir politique. Quelques jours un peu tendus pour moi avant les cérémonies du 14 juillet. Je viens de donner l’ultime validation au chef d’état major qui souhaitait effectuer quelques changements de dernière minute dans l’organisation de la cérémonie. Il insistait pour présenter la nouvelle « mitrailleuse Saint-Etienne » alors que cela n’était pas prévu au programme arrêté il y a trois mois. J’ai dit « oui ». Lourde responsabilité. S’il y a un incident, le prestigieux général est maintenant « couvert ». Pas moi.
L’ambiance dans l’armée reste morose. En quelques années, le nombre de candidats à Saint Cyr a chuté de moitié et se situe en dessous de mille. La solde des officiers demeure désespérément faible et les hauts gradés continuent à devoir compter sur une éventuelle fortune personnelle pour tenir leur rang. Les grandes familles françaises s’écartent de la carrière des armes et laissent à la petite et moyenne bourgeoisie l’encadrement de cette Institution autrefois si prestigieuse.
Plus grave.
Le désamour entre le pouvoir politique et les hommes en uniforme persiste bien au-delà de l’Affaire Dreyfus. Du côté des ministres et des parlementaires, on regrette l’absence de transparence, le goût pour le secret, et surtout la volonté d’indépendance (au Maroc par exemple) des militaires. En retour, ces derniers reprochent au Pouvoir de ne pas leur donner les moyens de protéger efficacement le pays : pas assez de canons ni de véhicules, des fusils Lebel qui sont déjà dépassés par le Mauser Gewer 1898 allemand, des uniformes inadaptés pour des combats de longue durée dans le froid ou sous la pluie, un service militaire trop court qui ne permet pas d’aligner assez de régiments aux frontières…
L’armée se sent mal aimée.
Les efforts en faveur de la police (création des brigades mobiles en fin d’année dernière) ont aussi créés des jalousies au sein d’une gendarmerie persuadée, jusque-là, d’être l’élite des forces de l’ordre. Plus largement, le cumul des fonctions entre Président du Conseil et ministre de l’Intérieur de la part de G. Clemenceau, est considéré par les généraux comme malsain. Pour ces derniers, cela défavorise les forces armées dans l’attribution des crédits et la répartition des responsabilités.
G. Clemenceau balaie ces reproches d’un revers de main et ne décolère pas contre les incidents à répétition que connaît la marine (incendie dans les navires de la flotte, collision entre bâtiments, explosions en plein port…). Il rouspète aussi continuellement contre les initiatives prises par l’état major au Maroc : « ces généraux sont au main du parti colonial. Ils n’en font qu’à leur tête et engagent la Nation dans l’aventure ! ».
Cette tension va-t-elle se ressentir quand les soldats vont défiler dans un ordre impeccable devant le Président Fallières et tout le gouvernement? Va – t’on voir dans les regards fiers des officiers tournés vers la tribune des ministres, autre chose que de l’orgueil militaire ?
Ou bien, cette cérémonie magnifique sera-t-elle une occasion un peu magique de réconcilier une Institution et une Nation qui ne peuvent se passer l’une de l’autre ?