17 juillet 1908 : Combat pour une presse libre

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Le scandale, le spectaculaire, le meurtre : la presse et son public de 1908 aiment le fait divers sanglant, le coup de folie commenté avec gourmandise

Il a vingt-quatre ans. Il y croit à son métier de journaliste ! Son journal, Le Matin, ne lui a pas donné encore l’autorisation de signer ses articles mais il écume déjà les couloirs de la Chambre à la recherche de « toutes les informations utiles sur les parlementaires ». Il me confie gravement :  « Echotier : un bon tremplin pour apprendre, réfléchir à ce que je veux faire vraiment. Contrairement à beaucoup de mes confrères, je ne salis pas ma plume dans des articles sans intérêt. Je peux même continuer à rédiger mes chers poèmes quand les prises de paroles des députés sont trop longues et répétitives.  »

En apparence, la presse ne s’est jamais aussi bien portée. Plus de dix millions d’exemplaires vendus chaque jour en France ! Talonnant le Petit Parisien et son gros million de numéros vendus chaque jour, on trouve Le Journal, Le Petit Journal…et Le Matin, employeur de mon jeune ami Albert Londres.

Pourtant, le quotidien des 6000 journalistes français n’est pas toujours à la hauteur de leurs rêves d’enfants.

Ils se voyaient parcourir le monde comme des reporters célèbres ? La plupart restent enfermés dans des locaux poussiéreux, fournissant de l’information brute à des « rewriters » qui piochent dans cette matière pour écrire des articles qui resteront souvent anonymes. Les « grandes plumes » des années 1850 ont disparu. Le journal vise un large public et ne s’embarrasse pas d’individualités originales.

 » Mon journal commentait quatre crimes par jour il y a quinze ans. J’ai compté : nous en sommes à six ou sept aujourd’hui. Du meurtre, du sang qui dégouline, les cris d’effroi des victimes… les lecteurs en redemandent. Il faut tenir en haleine un public versatile qui peut à tout moment acheter le journal concurrent si nous n’avons pas su le retenir. Le but n’est donc plus d’informer mais de plaire, de vendre toujours plus pour rembourser ceux qui acceptent d’apporter leurs capitaux pour faire tourner nos rotatives.  »

L’indépendance ? Un combat permanent et difficile. Albert Londres m’explique qu’il est pratiquement exclu d’écrire un article sérieux sur les sociétés pourvoyeuses de publicité qui confient leurs réclames à la toute puissante Société générale des annonces qui monopolise la vente d’espace des principaux titres parisiens.

L’agence Havas, pour sa part, contrôle une bonne part des informations de première main et peu de journaux ont les moyens de vérifier ce qu’elle avance. Ils se contentent dès lors de reprendre les dépêches sans esprit critique.

Fournir une information financière de qualité relève aussi de l’exploit. Les organismes boursiers financent les annonces financières, « tiennent » une bonne part des journalistes spécialisés. La manipulation des cours demeure ainsi une tentation permanente. Bien malin celui qui peut se procurer des éléments fiables et neutres sur les emprunts russes !

Alors il rêve, notre Albert. Il se voit partir loin de tout cela ou s’immerger dans des réalités inconnues de tous comme… les asiles de fous ou les bagnes. Il regrette de ne pas avoir pu couvrir la guerre entre le Japon et la Russie.  » J’étais trop jeune pour partir à Port Arthur ». Il accumule une énergie qui ne demande qu’à se libérer. Il veut témoigner « de l’intérieur », faire réfléchir, surprendre voire choquer.

Et, surtout, sortir de « beaux textes ».

Pour lui, il  y aura toujours un lien entre la presse et le monde merveilleux des poètes.

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