18 novembre 1907: Le Maroc, un poison pour l’avenir?

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Le Général Lyautey au Maroc passant en revue des troupes locales alliées: Notre réelle présence militaire ne doit pas cacher notre influence économique grandissante…

Je dois rédiger une note à remettre pour demain au ministre. Celui-ci souhaite avoir une deuxième regard – après celui du  » Quai  » – sur notre politique au Maroc.

Sans vouloir être trop abrupte dans mon document, je m’y exprime avec franchise.

La ligne diplomatique définie par l’ami politique de G. Clémenceau, M. Delcassé, tout puissant ministre des affaires étrangères jusqu’à 1905 et que continue son successeur, M. Pichon, me paraît malheureusement la seule praticable. Pour autant, elle renforce les risques de conflits entre nations européennes.

Nous nous efforçons d’établir, de façon souterraine, une zone d’influence sur tout le nord du sultanat en écartant progressivement l’Allemagne et l’Espagne ou toute autre puissance susceptible de contrecarrer nos intérêts.

La Conférence d’Algésiras qui s’est terminée l’an dernier et qui avait pour but de mettre fin au conflit naissant entre la France et l’Allemagne au sujet du Maroc, nous donne en cela des atouts. C’est notre pays qui détient le plus de parts dans la Banque d’Etat du Maroc ; il se partage avec l’Espagne la police des ports et la lutte contre la contrebande.

Nous menons, il faut bien le dire, une véritable opération d’infiltration de l’Etat chérifien. Nos conseillers, spécialistes civils ou militaires, sont partout. Dans les ports, dans l’installation du télégraphe sans fil ou dans les mines, règnent nos ingénieurs. Mais nous assurons aussi une réelle présence militaire pour les territoires proches de l’Algérie, sur la plaine de Casablanca et le sud désertique. Les succès du général Lyautey enregistrés cette année, en sont la marque la plus visible.

Dans le monde économique, nos normes techniques s’imposent peu à peu, favorisant l’attribution ultérieure d’adjudications aux sociétés françaises.

Ainsi, la France mène une pénétration économique efficace, doublée le cas échéant d’opérations militaires ponctuelles. Cette politique multiforme se révèle pour l’instant concluante et habile.

A priori, nous pourrions nous féliciter de cette puissance retrouvée de notre pays après la cuisante défaite de 1870 qui l’avait conduit à un effacement militaire et économique doublé d’un isolement diplomatique.

La France discute maintenant d’égale à égale avec l’Allemagne ou l’Angleterre. Ces pays doivent accepter notre prépondérance à l’intérieur du sultanat marocain.

Nous pourrions être fiers.

Et après ? Projetons-nous un peu dans l’avenir.

Que se passera-t-il si l’Allemague s’aperçoit que le traité d’Algésiras a été un marché de dupes conduisant à un effacement de son influence sur le nord de l’Afrique ?

L’Angleterre qui veille à rester la première puissance mondiale, ne va-t-elle pas exiger de nous des contreparties lui garantissant que notre puissance retrouvée ne lui fasse pas d’ombre ?

Plus encore, je suis inquiet de voir le nombre de territoires au sein desquels les grandes puissances européennes sont engagées de façon rivale : l’Empire Ottoman, la Chine, le Maroc, L’Afrique noire, l’Egypte…

Sous ces contrées lointaines se nouent, en fait, des causes de conflits, des poisons diplomatiques voire militaires,  qui pourraient un jour venir perturber la vie sereine de nos villes et villages.

La « question marocaine » mérite d’être suivie avec les précautions d’un démineur neutralisant ce qui peut devenir une bombe.

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