13 juillet 1914 : cauchemar viennois

C’est un cauchemar. Des figures grimaçantes. Des êtres fantomatiques, ricanants, dansent une gigue endiablée ou avancent dans un couloir de palais comme des morts-vivants. Paralysé dans ce rêve affreux, je les reconnais pourtant tous, impuissant à faire cesser le triste spectacle. Il y a Berchtold, le ministre des affaires étrangères autrichien, Tschirschky, ambassadeur du Reich à Vienne, les chefs d’état major de François Joseph, l’attaché militaire allemand… Ils parlent, ils complotent, l’air inquiet, s’appuyant les uns sur les autres, le regard fou. Ils évoquent l’assassinat de l’archiduc, l’attitude à avoir vis à vis de la Serbie, la position de la Triplice par rapport à la triple Entente, la menace d’encerclement de l’Allemagne par la France et l’Angleterre d’un côté et la Russie,  » chaque jour plus puissante « , de l’autre.
 » Il faut donner une leçon à la Serbie. La supprimer comme fauteur de troubles dans les Balkans !  »  » L’Autriche peut compte sur l’aide de l’Empire allemand pour mettre au pas la Serbie. Guillaume II a été très clair en ce sens.  »  » Le conflit sera limité aux Balkans et s’il ne l’est pas, c’est maintenant qu’il faut attaquer. Dans cinq ou dix ans, la Russie sera trop forte.  »
La peur est mauvaise conseillère. Ces hommes tiennent le destin de la Serbie entre leurs mains mais ne pensent qu’à leur intérêt à court terme.
 » La foule viennoise manifeste devant l’ambassade de Belgrade. Elle attend un geste de fermeté de ses gouvernants.  » Peu importe que la foule décrite se réduise en fait à quelques dizaines de badauds facilement dispersés par la police. On grossit et on déforme tout pour mieux assoir la démonstration.
L’armée tremble de ne pas être prête à temps face à la menace russe, les diplomates autrichiens et allemands sont à bout de patience vis à vis de ces Balkans si complexes narguants – le croient-ils – leur puissance. Pendant toutes les crises internationales précédentes, de 1907, de 1911, la paix l’a emporté… mais cette fois-ci, on sent ces êtres fatalistes, usés, prêts à essayer  » autre chose  » , prêts à basculer dans un autre monde, celui de la force et des canons, de la poudre et des assauts furieux. L’odeur du sang.
 » La guerre sera limitée dans l’espace et courte dans sa durée : celui qui frappera le premier sera le vainqueur.  » C’est encore Tschirschky qui a parlé. Berchtold ne répond rien. Il soupire, las, infiniment las. Il laisse échapper de ses dents serrées un  » à quoi bon…  » désabusé.

Il est six heures, je sors de mon cauchemar. Il va faire beau. J’entends les trains qui partent et rentrent gare Saint-Lazare. Bientôt le défilé du 14 juillet. Tout va bien. Rien ne peut arriver de grave. Vienne, Sarajevo, c’est loin. Je respire un grand coup. J’ouvre les volets. Paris est calme, heureux, serein presque… L’air de juillet reste léger. Je me prépare pour ma journée de travail auprès de Poincaré et me surprends à siffloter.

Heinrich von Tschirschky, ambassadeur du Reich allemand à Vienne
Heinrich von Tschirschky, ambassadeur du Reich allemand à Vienne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :