1er septembre 1914 : Paris menacé !

« Les combats se déroulent de la Somme aux Vosges… » Ce communiqué tout simple a enflammé l’opinion publique. Tout le monde avait tellement cru les multiples déclarations de victoire de l’état-major que cet aveu officiel et bien tardif de la très mauvaise posture de nos troupes fait sensation. Non, nous ne sommes pas à Berlin ou presque ; non, nous n’avons pas été victorieux lors de la bataille des frontières ! Et l’ennemi s’est engouffré en France, par la Belgique, appliquant presque à la lettre le terrible plan Schlieffen programmé pour réduire à néant nos défenses en quelques semaines.

Le terrible plan Schlieffen allemand
Le terrible plan Schlieffen allemand

Il faut l’avouer, piteusement : Paris est maintenant menacé. Chacun tremble que le drame de 1870 ne se reproduise : siège de la ville, privations, troubles puis guerre civile, humiliation nationale enfin…

J’ai demandé à ma femme de quitter Paris, avec les enfants, pour rejoindre mes beaux-parents à Versailles où ils résident rue Hoche. Je sens cette ville de garnison plus sûre et je pense que l’on peut s’y approvisionner en vivres plus facilement qu’à Paris avec les fermes et les champs à côtés, juste après la ville du Chesnay ou Saint-Cyr. Pierre de Nolhac me promet aussi de  veiller sur mes êtres chers. Il les a cueillis à la gare de Rive Droite avec son automobile de fonction qui est une des rares, sur place, à avoir encore de l’essence.

Les troupes à Versailles en 1914
Les troupes à Versailles en 1914

Depuis l’Elysée, nous avons coordonné, ces jours derniers, le remaniement ministériel, en liaison avec le président du Conseil Viviani. Moment éprouvant, plein de rebondissements, de portes qui claquent et de mots qui frappent. Clemenceau et Poincaré un temps réconciliés se sont de nouveau fâchés, à mon grand désespoir.

Nous avons intégré, tant bien que mal, dans le ministère, des représentants de presque tous les partis de l’Union sacrée. On retrouve ainsi Jules Guesde et Marcel Sembat qui apportent le soutien de la SFIO.

Mes deux rêves ne se sont en revanche pas réalisés : faire rentrer Clemenceau (qui souhaitait la seule présidence du Conseil ou rien) et virer ce nul de Viviani. Nous nous en tenons à une équipe – a priori – plus professionnelle que la précédente : Briand est vice-président du Conseil et Messimy quitte enfin ce ministère de la Guerre où il ne cessait de perdre son calme  et d’avoir des différents avec Poincaré ou le général en chef Joffre. On regrette au Palais le retour de Delcassé aux Affaires étrangères. Poincaré a eu ce mot cruel le concernant : «  Cet homme odieux croit que tout le monde l’attend ! »

Je reçois ce jour le général Gallieni. Le nouvel et énergique gouverneur militaire de Paris promet de défendre la capitale face à des Allemands que rien ne semble pouvoir arrêter. Il presse le gouvernement de quitter Paris pour Bordeaux où il sera plus en sécurité. Mon patron Poincaré, malgré l’insistance de Joffre lui-même, refuse et veut demeurer parmi les Parisiens, jusqu’à la dernière extrémité : « Je ne peux les abandonner et je vais partager toutes leurs souffrances ! »

Donc, je reste… Et je partage aussi.

Gallieni, prêt à défendre Paris, jusqu'au bout...
Gallieni, prêt à défendre Paris, jusqu’au bout…

25 août 1914 : le feu tue !

« Oui, j’ai eu peur. Un bref instant, seulement. La mort, cette grande faucheuse, a rodé tout près de moi… Mais maintenant, je suis impatient de retourner au combat. J’ai l’impression qu’après ce miracle qui m’a fait échapper aux balles ennemies alors que mes camarades tombaient comme des mouches, il ne peut plus rien m’arriver. Je rêve de nouveaux assauts glorieux, de prochains élans libérateurs protégeant notre chère terre de France… » Charles de Gaulle fait retomber sa lourde tête sur son oreiller dans le grand dortoir des officiers de l’hôpital Saint-Joseph à Paris. Blessé d’une balle déchirant profondément le muscle arrière du genou et atteignant aussi le nerf sciatique, le 15 août dernier, en défendant Dinant face aux chasseurs saxons de la Garde,  il a été opéré et entame sa convalescence.

Evacuation d'un blessé en 1914
Evacuation d’un blessé en 1914

Il poursuit son monologue : « Lors de l’assaut de la citadelle, à la tête de mes hommes du 33ème RI que j’avais su galvaniser, j’ai ressenti brusquement à la jambe une vive douleur, comme un violent coup de fouet. Immédiatement après, j’étais à terre, au milieu des corps de mourants, tressautants encore à l’impact de chaque nouvelle balle. J’ai pu me traîner jusqu’à l’entrée d’une maison et je ne dois de ne pas être prisonnier qu’au dévouement de certains civils et à la rapidité de nos médecins militaires. »

La bataille de Dinant où De Gaulle est blessé.
La bataille de Dinant où De Gaulle est blessé.

Charles me demande des nouvelles du Grand quartier général – GQG – de Joffre.

Je dois lui avouer qu’elles ne sont pas fameuses. En Belgique, nos pertes s’accumulent tragiquement et on estime que plus de 20 000 de nos hommes perdent la vie chaque jour. Nous devons reculer un peu partout face à un ennemi dont la stratégie et la tactique se révèlent plus efficaces que notre plan XVII. Trois armées allemandes menacent de nous déborder, à marche forcée, par le nord-ouest dans un immense mouvement associant troupes d’active complétées par des forces de réserve, en nombre beaucoup plus conséquent que prévu par notre état-major surpris et consterné.

Tactiquement, les Allemand savent mieux faire que nous des reconnaissances avant d’attaquer. Ils comprennent tout de suite le parti qu’ils peuvent tirer de l’aviation pour repérer les mouvements de nos régiments. Ils pilonnent aussi nos positions avec une artillerie plus efficace car mieux repartie au sein des différentes divisions. Notre doctrine de l’offensive à outrance – avec des fantassins en pantalon rouge garance de surcroît  –  se révèle souvent désastreuse face à des mitrailleuses judicieusement placées dans les replis de terrain. Nos généraux découvrent, pour la plupart avec stupeur, que « le feu tue » et dans des proportions que personne n’imaginait jusque-là.

Une offensive française : en terrain découvert, baïonnette au canon, en pantalon rouge...
Une offensive française : en terrain découvert, baïonnette au canon, en pantalon rouge…

Et quand nous devons battre en retraite, tout se fait parfois dans le plus grand désordre : nos officiers n’ont pas été formés pour reculer tout en gardant des lignes cohérentes.

Le gouvernement est furieux et j’ai rédigé un décret autorisant Joffre à relever de son commandement toute une série de généraux qui se montrent incapables voire complètement perdus face à des troupes germaniques pour l’instant fort bien commandées par Von Kluck, Von Bülow ou Von Hausen.

De Gaulle m’écoute avec attention. Il tire sur sa cigarette de longues bouffées voluptueuses et lâche : « Joffre se révèle redoutablement intelligent. Il est en train de virer toute une série de vieilles badernes galonnées et il pige vite. Les nouvelles consignes qui arrivent aux divisions montrent que nous nous sommes peut-être trompés mais nous apprenons dans des délais record. Nos offensives seront dorénavant mieux coordonnées d’une arme à l’autre et mieux préparées. Nous nous portons toujours en avant avec un courage et un moral qui ne se démentent pas… mais avec plus de prudence. »

Je me lève, sers la main et laisse le jeune lieutenant à ses considérations tactiques. Mon automobile m’attend pour rejoindre Joffre à son GQG actuellement installé à Bar-sur-Aube.

Poincaré s’estime en effet fort mal informé de ce qui se passe réellement sur le front et je dois donc faire le point dès demain matin avec l’état-major pour rapporter ensuite des nouvelles fraîches à l’Elysée.

 

Mon ami Charles de Gaulle en 1914
Mon ami Charles de Gaulle en 1914

Vous aimez ce site ? Apportez-lui votre soutien en rejoignant le groupe « Il y a un siècle ». C’est gratuit et c’est pour les passionnés d’Histoire !

17 août 1914 : Fier d’avoir inventé l’Union sacrée

« Il faudrait un terme qui invite fortement au rassemblement… » Je me rappelle encore mon patron Raymond Poincaré, la plume à la main, rédigeant avec mon aide, ce qui allait devenir son fameux discours à la Chambre du 4 août dernier. Il souhaitait, en ce soir du 3 août,  assis à son bureau de l’Elysée, que toutes les forces du pays – politiques, syndicales, spirituelles – oublient leurs querelles et se regroupent dans un même effort de défense de notre patrie menacée.

Je lui suggérai alors le mot « union ». « Bof » me répondit-il, « c’est un peu synonyme de rassemblement. Non, non, Olivier, il faut imaginer quelque chose de plus fort, de plus solennel. Un terme peut-être encore peu employé mais qui aura ensuite une résonance  extraordinaire… ».

Je passai en revue dans ma tête tous les vocables pouvant correspondre peu ou prou à l’idée de Poincaré : rassemblement, union, regroupement, ralliement, rencontre, fusion, alliance, entente… ? Aucun ne semblait devoir prendre sa place dans ce futur et très attendu discours qui allait être lu par Viviani aux parlementaires.

A un moment – je ne sais pourquoi – je me suis rappelé le tout nouvel opéra « Parsifal » que l’on avait enfin pu voir à Paris, début janvier, sous la direction d’André Messager. Cette ambiance moyenâgeuse et pieuse de chevaliers réunis autour du Graal, m’a conduit, d’un coup, à la formule magique «union sacrée ». J’hésitai un instant pourtant avant de la proposer à Poincaré. Peut-être allait-il la trouver trop peu laïque à son goût ? Ou excessivement solennelle voire pompeuse ?

Finalement, je lâchai le terme, d’une voix peu assurée. Poincaré m’a alors fixé avec des yeux beaucoup plus expressifs que d’habitude : « Eh bien voilà, « Union sacrée » , c’est le mot qu’il nous faut. Cela donne donc la phrase :

Dans la guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’Union sacrée.

C’est fort, très fort, indiscutablement. Bravo Olivier ! Je savais que je pouvais compter sur votre imagination».

Je n’osai lui dire que le vocable m’était venu en pensant à… un opéra allemand !

Dix jours après, en lisant la presse française et étrangère, je m’aperçois que le terme «Union sacrée » produit son petit effet. Il est repris un peu partout, par les socialistes, par la droite républicaine, par les radicaux… En Angleterre ou au États-unis, les mots « Union sacrée » sont cités tels quels, en français dans le texte, autant pour décrire notre situation politique nationale qu’en faisant référence à un éventuel contexte plus local.

Seuls les Allemands s’en tiennent, évidemment, pour décrire le nécessaire rassemblement des partis autour du Kaiser et du chancelier Bethmann,  à une formule de la langue de Goethe : « Burgfrieden » disent-ils. Cela veut dire «  paix civile », en français.

« Burgfrieden » ? Force est de reconnaître que c’est bien moins percutant que notre «Union sacrée » ! Dans la guerre du verbe, je suis sûr que nous sommes en train de gagner une bataille !

L' Union sacrée en France
L’ Union sacrée en France
Message du Président de la République Poincaré au Français : ce texte reprend l'essentiel du discours prononcé devant la Chambre
Message du Président de la République Poincaré au Français : ce texte reprend l’essentiel du discours prononcé devant la Chambre
Burgfrieden : la "Paix civile" allemande, rassemblement de toutes les forces du peuple autour de l'empereur Guillaume II.
Burgfrieden : la « Paix civile » allemande, rassemblement de toutes les forces du peuple autour de l’empereur Guillaume II.

 

 

 

 

16 août 1914 : ils partent tous !

C’est terrible. Dans mes amis, tous ou presque partent ou sont partis. On compte ceux qui appartiennent déjà à la grande famille des militaires comme Charles ( de Gaulle ) affecté comme lieutenant, chef de section au 33ème régiment d’infanterie qui quitte Arras pour la frontière belge – il est actuellement à Dinant, je crois –  ou Louis ( Ferdinand Destouches), maréchal des logis au 12ème régiment des cuirassiers de Rambouillet. Pour ces derniers, il n’y a guère de surprise, ils s’étaient préparés de longue date à l’épreuve du feu, à ce moment où leur condition de guerrier au service de la patrie  allait prendre tout son sens.

Mais il y a aussi les proches qui quittent tout pour rejoindre une institution qu’ils connaissent mal, pour aller vers un monde – celui de la poudre et des combats – que leur vie de civil ne leur laissait que peu entrevoir.

Mon autre ami Charles (Peguy) fait partie de ceux-là. D’un point de vue intellectuel, il a pensé à la guerre et a écrit sur elle. Je me rappelle encore cette phrase forte, pleine de dégoût pour ses anciens camarades socialistes, devenus pacifistes : « « En temps de guerre celui qui ne se rend pas est mon homme, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne et quel que soit son parti. Il ne se rend point. C’est tout ce qu’on lui demande. Et celui qui se rend est mon ennemi, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, et quel que soit son parti. Et je le hais d’autant plus, et je le méprise d’autant plus, que par le jeu des partis politiques il prétendait s’apparenter à moi ».

On ne peut dire pourtant que sa vie de libraire et de poète le met vraiment en situation d’appréhender la condition de soldat. Je vois encore le visage de Charles Peguy pâlir quand il a mis autour de son cou la chaîne portant sa plaque d’identité militaire, en métal blanc ; cette fameuse et affreuse plaque réglementaire toute froide portée à même la peau et destinée à l’identifier avec certitude s’il devait mourir.

Avant de partir au front, ils ont tous prévus de venir me saluer affectueusement. Je raconterai dans ce journal ces rencontres et la correspondance dont ils commencent à m’abreuver.

Il ne faut pas manquer de citer aussi les étourdis oublieux comme Paul ( Valéry). L’écrivain qui n’a pas produit depuis longtemps s’est fait transmettre en urgence son livret militaire par sa bonne alors qu’il prend ses vacances dans le sud. Il va découvrir qu’il s’inquiète pour rien et qu’il n’est pas immédiatement mobilisable (je viens de m’en assurer) !

Enfin, on peut aussi distinguer les «  éclopés », ceux dont la santé empêche un appel sous les drapeaux. Il y a Georges (Mandel), ami de Clemenceau comme moi et qui regrette d’être physiquement inapte et se voit donc réformé  ou Marcel (Proust), malade chronique, lui aussi incapable de prendre l’uniforme.

Ce dernier, toujours d’un optimisme riant, vient de m’envoyer une lettre, on ne peut plus alarmiste, sur les combats qui commencent. Il pense que des «  millions d’hommes vont être massacrés dans une guerre des mondes comparable à celle de Wells ».

Charles Peguy - à droite - en uniforme d'officier.
Charles Peguy – à droite – en uniforme d’officier.

Vous aimez ce site ? Rejoignez le groupe de ses fidèles amis !

3 août 1914 : Sont-ils « heureux » de partir ?

Sont-ils « heureux » de partir ? Poincaré m’a demandé de faire un petit tour dans plusieurs gares et endroits de région parisienne, pour « saisir » l’état d’esprit de nos jeunes engagés à la suite de l’ordre de mobilisation générale. Je me suis rendu Gare Saint-Lazare, à côté de chez moi avec les arrivées de mobilisés venant de l’Ouest, aux  gares de Versailles Rive droite puis Rive gauche à côté de laquelle j’ai finalement déjeuné avec mon ami conservateur du château Pierre de Nolhac puis, de façon inévitable, gare de l’Est, où se concentrent, de façon massive, les départs vers le front.

Je regarde la tête des gens, saisis des bribes de conversations, des commentaires chuchotés ou au contraire à voix haute, exprès. J’observe cette France encore assise tranquillement dans la paix d’un chaud mois de juillet il y a seulement quelques jours, se lever brusquement, début août, pour partir se battre les armes à la main.

J’entends un peu partout des « À Berlin, à Berlin ! » vengeurs. Ici et là, ça chante à tue-tête la Marseillaise puis, malheureusement, aussi des chansons à boire, dans une forte odeur de vinasse.

J’observe des femmes et des enfants qui pleurent en disant un dernier au-revoir à un père qui promet de revenir vite. D’autres gamins jouent insouciants avec le képi de leur papa embrassant longuement leur maman émue.

Des paysans pestent bruyamment de ne pouvoir rester jusqu’à la fin des moissons et sont persuadés qu’on les a mobilisés trop vite, par erreur, qu’ils vont être priés de retourner à leurs champs pour finir leur labeur.

Des omnibus sont (mal) garés, inutilisés, sur le bord des trottoirs, faute de chevaux pour les tirer : ils sont tous réquisitionnés par l’armée. Il n’y a plus de taxis non plus. Alors on marche, pour ceux qui n’ont pas d’automobile.

Après les rumeurs de guerre dont la population a été abreuvée jusqu’à plus soif pendant près de quinze jours, nous avons maintenant droit à la guerre des rumeurs. J’ai beau être particulièrement bien placé pour avoir l’information exacte, je me laisserais presque prendre.

« Il y a des espions allemands en plein Paris et le gouvernement ne s’en rend même pas compte… » « Méfiez-vous de ceux qui ont un nom ou un accent germanique… » Des Alsaciens qui ont choisi la France sont molestés après avoir été confondus avec des Prussiens ; la brasserie Heidt est pillée sous mes yeux, sans intervention de la police (j’appelle, furieux, le préfet Hennion).

« Les publicités Maggi, pour son bouillon Kub – nom évidemment allemand – diffusent des messages codés pour l’ennemi ! » Plus c’est gros, plus ça circule. Le «n’importe quoi » est répété et déformé par n’importe qui.

À mon retour devant le président de la République, je fais un long compte-rendu oral lui indiquant que nos compatriotes ont des « sentiments mêlés » : mélange bizarre de vraie tristesse de partir au front et de joie de se battre, stupeur et incrédulité face à cette guerre qui arrive si brusquement, peur et ferme résolution à la fois de nos soldats. Chez la même personne, tous ces sentiments peuvent se succéder dans une seule journée.

Poincaré m’écoute jusqu’au bout, sans bouger un seul trait de son visage, totalement impassible – comme inaccessible aux sentiments – et conclut d’un laconique : «  Bon, c’est clair. »

Les passants regardent, stupéfaits et résignés, l'ordre de mobilisation générale...
Les passants regardent, stupéfaits et résignés, l’ordre de mobilisation générale…

 

1er août 1914 : Jaurès assassiné hier soir

Deux coups de feu à travers le rideau du restaurant. Jaurès est mort. J’étais en face de lui, hier soir, au café du Croissant, ma femme à mes côtés. Après une conversation sur la situation internationale, nous venions de lui montrer, à sa demande, une photographie de notre petit dernier. Au moment de voir ce document, le visage de Jaurès, si soucieux depuis tant de jours, s’est déridé. Il nous a regardé, Nathalie puis moi, avec un beau sourire.
Et puis nous avons vu ce bras armé d’un revolver, ces deux détonations à bout portant sur la tête du tribun.
Il s’est écroulé en sang sur son voisin de gauche pendant que deux convives sortaient en courant et tentaient de rattraper l’assassin, qui a finalement été stoppé par le policier qui était dehors en faction.
Une ambulance est venue mais le médecin n’a pu que constater le décès.
Je suis resté, éberlué, une partie de la nuit devant le restaurant, avec le préfet de police Célestin Hennion.
La foule a grossi au fil des heures devant les lieux du drame. On entendait, dans toutes les rues avoisinantes, les gens se passer, de proche en proche, le message : « Jaurès est mort, Jaurès est mort ! »
Notre pays a perdu un père cette nuit.
Nous avons l’impression que, maintenant, plus rien ne peut nous protéger de la guerre. Nous avons presque le sentiment d’être nus face au drame qui arrive…
Pour se rassurer, chacun se tourne maintenant vers l’armée : notre espoir, notre force.

Le café du Croissant
Le café du Croissant
Raoul Villain, l'assassin de Jean Jaurès
Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑