Pas beaucoup le temps d’écrire ces jours-ci ! Je passe de longues journées à l’Elysée où je fais tout pour bien informer le président de la République de la situation internationale – Poincaré est de nouveau à bord du cuirassé France et vient de quitter Cronstadt – et donner des instructions les plus judicieuses possibles au Quai d’Orsay.
L’ultimatum que l’Autriche vient d’envoyer à la Serbie, à la suite de l’attentat de Sarajevo, est rédigé de façon inadmissible.
En exigeant l’arrêt de la propagande anti-autrichienne sur le territoire serbe, il impose de fait une interdiction d’une presse libre. Il ne se contente pas d’imposer des poursuites contre les complices de l’attentat, il demande, ni plus ni moins, des arrestations ciblées de fonctionnaires serbes éventuellement cités dans la procédure ! Si on ne peut que souhaiter une nécessaire coopération de la police serbe avec les autorités austro-hongroises, il est incroyable de réclamer aussi la possibilité donnée à ces dernières d’opérer sur le territoire serbe.
Les conseils de modération de notre ambassadeur à Vienne comme ceux de notre ambassadeur à Saint-Petersbourg vis à vis de son homologue autrichien, n’ont manifestement pas été suivis. L’Empire austro-hongrois cherche visiblement à en découdre avec la petite Serbie qui lui fait trop d’ombre à son goût. Et si l’Allemagne soutient cette démarche – ce qui est tristement probable – cela peut devenir grave.
En désespoir de cause, je me suis efforcé, aujourd’hui, de joindre Belgrade et notamment le président du Conseil Pachitch et je les ai invité à essayer de répondre aux maximum d’exigences de leurs agressifs voisins. Pachitch va voir ce qu’il peut faire. Aux dernières nouvelles, il envisagerait de répondre à neuf exigences sur dix. Je souffle…
Il soumettrait notamment le résultat de l’enquête sur l’attentat de Sarajevo aux autorités autrichiennes.
Je le pousse aussi à demander un arbitrage international. Arbitrage que l’Autriche ne peut refuser publiquement si elle est de bonne foi.
Pendant ce temps, je m’occupe aussi de Sazonov, le ministre des affaires étrangères russe que je connais bien, pour qu’il pousse l’Autriche et l’Allemagne à la modération. Il me répond qu’il agit bien en ce sens, tous les jours, mais il reste très inquiet de la situation. Il ne cesse de me répéter que l’Allemagne pousse Vienne à la fermeté vis à vis de la Serbie.
Bref, la situation ne lasse pas de m’inquiéter.
Pendant ce temps, le président de la République, le président du Conseil, le ministre des affaires étrangères sont tous dans un bateau et reviennent, tranquillement, de Russie. Le voyage est loin d’être terminé et plusieurs escales diplomatiques sont prévues sur le chemin du retour !
Quant à la presse, elle préfère rédiger de longs développement sur l’affaire Caillaux et notamment les évanouissements de l’inculpée pendant le procès à sensations. Ce qui se passe en Serbie est expédié en quelques lignes sous le vocable « les tensions austro-serbes ».
Tout cela est dérisoire et terrible à la fois…
