La jeune paysanne approche sa main en tremblant et gratte le menton de la statue. Le rebouteux lui empoigne le poignet vigoureusement :
« Plus fort, la gamine, plus fort, sinon, ton bébé sera une loque ! »
La jeune femme crispe ses doigts et arrache avec ses ongles noirs un peu de poussière de bois du visage impassible représentant Guillaume de Naillac, antique seigneur de ces lieux.
Elle garde précieusement la substance dans le creux de sa main et la reverse dans une coupe emplie de vin blanc de messe. Elle s’agenouille, se signe et boit, en confiance, le bizarre breuvage.
Nous sommes à l’intérieur d’une église du Bourbonnais. Comme dans de nombreux coins de France, l’imagination populaire n’a pas de limite pour venir en aide aux couples qui ne peuvent avoir d’enfants.
La ville de Bourbon l’Archambault abritait un drôle de Saint Greluchon
La statue de Guillaume de Naillac est célèbre dans tout le pays : on prétend qu’en lui grattant les parties génitales, on obtient des particules magiques susceptibles de provoquer une grossesse.
« Gratter », en dialecte local, se dit « grelicher ». La ferveur villageoise a canonisé notre bon Guillaume et sa statue est devenue, après avoir favorisé l’émergence de nombreuses progénitures dans toute la région et pendant tout le XIXème siècle, Saint Greluchon.
Pendant des dizaines d’années, l’entre-jambe de notre saint a été raboté par des milliers de mains fébriles. Puis, au moment où il ne restait plus rien à extraire de cet endroit du corps, dans les années 1895, j’avais déjà été interrogé par le préfet sur la conduite à tenir et avait conseillé que l’on « gratte le menton ». Mon conseil avait été transformé en arrêté préfectoral rassurant, de surcroît, les esprits pudibonds.
Ce dernier mois, le saint Greluchon revient sur mon bureau. Son menton n’est plus et son visage est devenu méconnaissable. Gratté, défiguré par des centaines d’ongles fervents, les mains de toutes les femmes momentanément stériles de plusieurs départements.
Le préfet, dérangé par cette grattouille inédite, interpelé par le maire local et le curé de la paroisse, pour une fois unis dans un même désarroi face à la disparition progressive et inexorable de la statue, demande à Paris l’autorisation de transférer l’objet dans un musée.
La lettre du haut fonctionnaire se conclut ainsi : « Monsieur le ministre, si nous n’y prenons garde, la statue de Guillaume de Naillac n’aura bientôt plus forme humaine et un souvenir remarquable du notre Moyen-Âge régional disparaîtra à jamais. Ce n’est plus qu’un rondin de bois que les paysans illettrés continueront à adorer d’une ferveur puérile. »
Je réfléchis longuement et renvoie ces instructions au préfet :
« Monsieur le préfet,
Il est positif de constater que vous êtes saisi par le maire et le curé de façon conjointe. J’y vois un signe de détente et d’apaisement après la loi de 1905 peu appréciée dans votre région. Recevez dès lors mes félicitations pour votre action modératrice.
Pour ce qui est de la statue, vous avez l’autorisation de la transférer au musée du chef-lieu. Pour autant, cette action imposée par un légitime souci d’ordre public, risque de provoquer la frustration des populations locales. Vous veillerez, dès lors, à conserver intact le socle en pierre de votre Saint Greluchon. Il appartiendra au curé local, s’il le souhaite, de bénir régulièrement un peu de poussière de bois et de la placer à cet endroit de l’église, à disposition de ses ouailles. »
J’apprends ce jour que ce dernier conseil est resté sans effet. La poussière de bois « envoyée par les fonctionnaires de Paris » n’intéresse personne.
En revanche, le musée départemental a vu sa fréquentation multipliée par cent depuis que le Saint Greluchon y a pris ses quartiers d’hiver.
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« Il y a 100 ans. 1910 » http://www.oeuvre-editions.fr/Il-y-a-100-ans
Une légende bien sympathique que je ne connaissais pas!
Une question m’est venue: le mot « greluche » (Jeune fille ou jeune femme aux moeurs légères ou sotte) a-t-il un rapport avec notre Saint-Greluchon?
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Bonjour
Ravi de découvrir cette anecdote qui concerne le canton dont est issu mon père aujourd’hui décédé.
Sauriez vous quelque chose sur une débeurdinoir qui aurait aussi existé dans ces contrées ?
Vous vous doutez que j’utilise un pseudo, j’espère que vous n’aurez pas trop de mal à m’identifier … surtout ne me répondez pas » o mais gars, je n’y connais rien à c’que tu dis ! »ou « c’est d’la doc que j’ai pas »
Tous mes vœux de succés pour cette prochaine rencontre à laquelle je ne pourai pas participer
Sincèrement
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Comme c’est étrange ! il y avait, semble-t-il, un Saint Greluchon à Gargilesse, dans l’Indre, et il y a surtout Guillaume de Naillac, (les Naillac étaient les seigneurs du chateau de Gargilesse)chevalier, qui aurait participer aux croisades et dont le gisant qui se trouve dans l’église romane a lui aussi été gratté, mais là c’est de la poussière de pierre que l’on récupérait, curieuse coïnciden ce ?
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Cher Catdupin
Oui, il y avait les deux : un gisant à Gargilesse et une statue du même Guillaume de Naillac à Bourbon L’Archambault.
A ma connaissance, il semble que le gisant soit toujours à sa place (profitez-en !).
Pour ce qui est des Saints Greluchon, il y en avait ailleurs en France et d’autres statues ont joué le même rôle que celle de notre bon Guillaume.
Quant à « Greluchon », il peut aussi être interprété comme une déformation de « grelot », argot amusant du XIXème siècle désignant les parties génitales masculines.
Voilà ce que je sais… sur cet aspect essentiel de l’histoire de notre pays.
L’auteur
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Bonjour, je suis sculpteur sur pierre en Belgique, invité par la mairie de Saint Plantaire, non loin de gargilesse, à un symposium de sculpture, j’ai proposé de réincarner Saint Greluchon dans une fontaine de granit. Cette sculpture est vénérée depuis 2009 dans le hameau de Saint Jallet et a donné lieu à un jumellage entre les villages de Saint Jallet (indre) et d’Engreux (Belgique) qui offrent désormais la possibilité aux dames en mal de grossesses de s’adoner aux rites disparus. C’est bien à haute voix que j’ai personnelement sommé Saint Greluchon de prndre place dans ces effigies de pierre.
Les traces de ces actions sont visibles sur les pages internet suivantes : http://www.fontaines-pierre-ongena.be/sculpteur-pierres-oeuvres-publiques-belgique-france.html
http://www.fontaines-pierre-ongena.be/content-management.php?lang=fr_fr?title=Oeuvres-publiques-Engreux&id=63
http://www.philongena.net/Phil_sympo/symposium_saint%20Plantaire_2009.htm
Voici donc de quoi relancer le rituel…
Philippe Ongena
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Depuis 1an à Gargilesse dans l’église romane, un nouveau ST GRELUCHON a pris place,
prêt à jouer son rôle. Il est en granit, oeuvre du sculpteur Nadaud Guilloton.
Lors de votre visite un document vous sera remis.
Une carte postale le représentant est en vente à l’office de tourisme.
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