Insupportable ! Je me penche à droite, puis à gauche. En me redressant complètement, j’arrive enfin à voir la scène et la pièce de Feydeau jouée ce soir à la Comédie Royale, rue de Caumartin. Je peste contre l’immense chapeau de la dame de devant : des fleurs et des plumes bizarres agencées de façon complexe, tout en hauteur. Il ne manque que les faux fruits qui ornent, en revanche, le couvre-chef de sa voisine.
Les chapeaux magnifiques et spectaculaires des années 1900
Tout cela est exaspérant. Le théâtre a beau mettre dans son règlement intérieur que les chapeaux sont interdits dans la salle, les ouvreuses n’osent pas faire de réflexions à quelques grandes dames qui ignorent superbement cette disposition. Ces dernières n’imaginent pas de paraître tête nue, « en cheveux », dans la rue, au restaurant ou au théâtre.
Je suis à présent droit comme un « i » et profite d’un angle de vision retreint entre deux plumes de l’élégante de devant qui reste indifférente à ma gêne. Je reste ainsi un bon quart d’heure dans cette position raide qui me permet de ne pas rater les évolutions de la scène de ménage grotesque qui ouvre la pièce à succès « Feu la Mère de Madame ».
Soudain, une main gantée de blanc se pose délicatement sur mon épaule. Une jeune femme toute menue, assise derrière moi, me glisse à voix basse, à l’oreille, avec timidité mais aussi beaucoup de tact : « Pardon Monsieur de vous importuner. vous êtes grand, savez-vous. Pouvez-vous, si cela vous est possible, vous caler un peu dans votre fauteuil ? Vous serez mieux assis et je pourrai ainsi regarder la pièce. Votre tête dépasse très largement votre fauteuil et je ne vois, moi qui suis petite, malheureusement rien.»
Je pousse un profond soupir, réfléchis, pèse le pour et le contre, pour lui répondre enfin :
« Ne craignez-rien, chère Madame, je sors ! »
Furieux, je dérange toute la rangée avec brusquerie puis quitte la salle… non sans avoir réclamé au vestiaire, sur un ton sec, mon beau chapeau melon.
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