» La prochaine fois, ce sera la fin ! » Je me retourne brusquement et n’arrive pas à distinguer le nom et la tête de l’impertinent député radical qui a prononcé ces mots menaçants pendant que Clemenceau regagne son banc. Le Patron vient de faire une nouvelle intervention musclée devant la Chambre. Il a justifié sa politique sociale, son refus des syndicats dans l’administration, son positionnement prudent et conciliant vis à vis de l’Allemagne, ses actions de réforme de la Marine, ses choix budgétaires…
Son ton a été jugé arrogant, plein de morgue. Le regard furieux qu’il a jeté à un collaborateur à l’origine d’une coquille dans son discours n’a échappé à personne et a été diversement apprécié.
On sent une lassitude de la Chambre vis à vis de ce Président du Conseil en poste depuis maintenant près de trois ans, durée exceptionnelle dans notre régime parlementaire. La gauche ne lui pardonne pas ses envois de régiments de dragons dans les usines en grève et ses arrestations de leaders de la Cgt. La droite lui reproche de ne pas avoir trouvé la recette pour maintenir un climat social propice aux affaires et développement économique.
Et Clemenceau lui-même ?
La Chambre le fatigue, l’agace, l’énerve. Sur la brèche tôt le matin jusqu’au soir, assumant la direction d’une des principales puissances de la planète, louvoyant entre les écueils, assumant les réussites et les échecs d’une administration pas toujours très maniable, digérant un nombre impressionnant de dossiers chaque jour, le Tigre accepte peu les critiques de députés qui n’ont jamais été aux affaires et ignorent les aspects concrets de la direction de la France.
Lassitude, envie de liberté et de voyages, de lectures permettant l’évasion et de rencontres féminines plus fréquentes. Le premier flic de France se verrait bien rompre les amarres.
Son discours roulé dans une main, Clemenceau s’apprête à se rasseoir. Il a lui aussi entendu la phrase menaçante de l’un de ses collègues radicaux. Contrairement à moi, il sait manifestement qui a parlé. Il se retourne et prononce ces quelques mots, en articulant distinctement dans un silence de mort :
» Cher collègue, dans la vie, il ne faut pas avoir peur d’avoir des ennemis. Si vous n’en avez pas, c’est que vous n’avez rien fait ! »
Le Tigre, usé, fatigué ?
« Il ne faut pas avoir peur » …. ceci dit sans regard furieux…
Courage au Tigre : j’ai lu dans mon marc de café qu’il devrait patienter encore un petit mois avant de goûter à nouveau aux plaisirs de la gente féminine… Dites à votre patron de surveiller sa prostate…
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