« Agostino Coppola, c’est lui ! » Luigi Albertini, directeur du Corriere della Sera, le grand quotidien italien, profite de son voyage aux Etats-Unis pour retrouver des compatriotes. Il serre la main du futur papa qu’on lui présente et s’assoit en face de lui. L’Italo-américain est de petite taille, trapu, très brun, barbu, marié à une certaine Marie Zasa, enceinte.
Albertini envisage, à l’attention de ses lecteurs milanais, romains ou napolitains, une succession d’articles sur l’émigration italienne au pays de l’oncle Sam, avec pour titre : « que sont-ils devenus ? »
Mulberry Street à New-York, Manhattan, le charme de Little Italy, une ville dans la ville.
Il considère que la presse de son pays ne peut plus passer sous silence le devenir des 200 000 compatriotes qui quittent chaque année leurs Abruzes, Toscane ou Sicile natales. Beaucoup franchissent les Alpes et tentent de s’établir dans une France pas toujours très accueillante. Mais une bonne moitié achète un billet de troisième classe sur un transatlantique et tente l’aventure américaine. Ellis Island, l’accueil de tous les immigrants, le contrôle sanitaire puis l’enregistrement du nom : l’ami de Coppola, pour démarrer dans sa nouvelle vie, en a profité pour troquer son patronyme « Andolini » pour celui de « Corleone », petite bourgade sicilienne où sa famille est restée.
Les Italiens aux Etats-Unis ? Ils sont pour la plupart employés de travaux publics, manutentionnaires, petits commerçants… ou voyous. Ils se regroupent entre eux et colonisent, par exemple, des quartiers entiers de Manhattan : les rues Mott, Elisabeth et Mulberry au nord de Canal Street délimitent la Little Italy, ville dans la ville où la langue de Shakespeare n’est pratiquement jamais utilisée. Il y règne une ambiance bon enfant. On vit dehors l’été et on passe des heures dans les cafés l’hiver. Les étals en plein vent des marchands de fruits et légumes donnent une touche de gaité supplémentaire à des quartiers où personne ne roule sur l’or mais où tout le monde se serre les coudes.
Agostino Coppola rêve que son futur enfant sorte de sa modeste condition initiale :
« Il faudra qu’il soit artiste, qu’il fasse de la musique par exemple. Pour qu’il n’ait besoin de rien, je vais racheter l’armurerie qui fait l’angle et j’espère que grâce à mes ventes de fusils, il pourra grandir en pensant à autre chose que se nourrir comme je suis forcé de le faire ! »
Le patron de presse Albertini se sent obligé d’y aller aussi de sa suggestion : « Le monde du spectacle commence à faire bon accueil aux Italiens. Danseurs, chanteurs, acteurs… nos compatriotes ont des dons indéniables. Nous le constatons aux processions de la fête de San Gennaro. C’est un peu tôt pour y penser mais votre rejeton pourrait peut-être fréquenter ce nouvel art qu’est le cinématographe ? »
Agostino se rembrunit : » Les quelques films que j’ai vu ne sont pas sérieux ! Je vois bien mon fils flûtiste mais c’est absurde d’imaginer un Coppola dans le cinéma ! En attendant, Monsieur le directeur du grand journal, nous cherchons un monsieur puissant pour protéger notre futur enfant.
– Vous voulez que je sois… son parrain ? »
Luigi Albertini, directeur du grand journal italien Corriere de la Sera, rencontre ce jour Agostino Coppola qui aura un fils, Carmine, flûtiste, chef d’orchestre et compositeur. Carmine sera lui aussi le papa d’un garçon, un certain Francis Ford…
Little Italy, New-York 1909