11 juin 1909 : Le vrai monde des agents secrets

Les agents secrets font rêver. On imagine un brillant officier introduit dans les cercles les plus restreints du pouvoir, tirant des ficelles bouleversant le devenir des pays et vivant des aventures hors du commun. De l’action, de la romance à l’eau de rose, des protagonistes avec des physiques de mannequins, des voyages et du mystère.

Le roman « L’agent secret » de Joseph Conrad remet les choses à leur place. Nous sommes dans les bas-fonds de Londres, les « héros » sont un peu minables et manipulés les uns par les autres. On projette d’organiser un terrible attentat à l’Observatoire de Greenwich pour faire tomber, ensuite, un groupuscule terroriste qui sera accusé du coup.

greenwich_observatory.1244640459.jpg

L’Observatoire Royal de Greenwich deviendrait la cible d’un attentat ?

Conrad en profite pour décrire le couple bancal du héros Verloc, sa relation ambigüe avec sa femme qui accueille sous son toit son frère handicapé mental. Couple faussement tranquille, vivant dans le malentendu, qui va être projeté dans un destin implacable. 

L’atmosphère est pesante ; l’intrigue, complexe, n’est pas linéaire et l’auteur la fait avancer en veillant à nous informer avant ses personnages. Ces derniers sont décrits en mettant en valeur leur personnalité aux facettes multiples mais rarement sympathique.

Les idéaux de défense de la nation sont loin ; les carriéristes, les médiocres et les pédants vaniteux dominent un monde désabusé.

Conrad voit juste. Ce que je sais des intrigues entre services secrets russes, anglais, allemands ou français ressemble à ce qu’il évoque avec une langue toujours précise et un sens des descriptions, une réflexion intérieure, qui fait le vrai charme du roman.

« L’agent secret » n’est pas traduit en Français. Il m’est donc difficile d’envoyer un exemplaire à mes collègues du 2ème bureau ou de la -soi-disante- police des chemins de fer (qui s’est constituée, avec la bénédiction du pouvoir, en service de renseignement intérieur). Dommage, Conrad nous invite à une réflexion salutaire sur l’univers du trouble, du glauque et du caché. Une descente sobre mais sans complaisance dans l’âme humaine et les rapports entre individus mais aussi une critique impitoyable de la vacuité des administrations secrètes, des jeux d’influence stériles et destructeurs dont elles sont à l’origine.

L’attaché d’ambassade britannique qui m’a prêté l’ouvrage l’a annoté de cette phrase de Kierkegaard : « Il n’y a rien sur quoi plane autant de séduction et de malédiction qu’un secret. » 

En le lui retournant, avec mes remerciements, je complète par ces quelques mots :

« Chaque âme est à elle seule une société secrète. »

joseph_conrad.1244638092.png

L’écrivain Joseph Conrad

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑