26 mai 1909 : Valéry, l’écrivain qui ne publie pas

 » Je passe d’un sujet à l’autre mais je suis incapable de me fixer sur un seul pour écrire réellement une oeuvre digne de ce nom. »

Paul Valéry n’a pas produit grand chose depuis L’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci et La Soirée avec Monsieur Teste. Gide le pousse à écrire avec des arguments plus convaincants que les miens. Rien n’y fait. Valéry s’occupe de son épouse à la santé fragile et de ses enfants. Leur faire apprendre des fables de La Fontaine même au plus jeune âge ou les distraire avec des spectacles improvisés de guignol, semble suffire à son bonheur.

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Paul Valéry en 1909

Un travail tranquille auprès du patron de l’Agence Havas, Edouard Lebey, lui laisse pourtant une liberté qu’il pourrait mettre à profit pour publier. Non, rien ne sort. Il en devient ironique :  » Une auréole inclassable de non production me rend le plus authentique des génies. Que peut-on comparer à ce que je n’ai point fait – et encore mieux à ce que je n’ai nulle intention de faire ? »

Et pourtant, chaque nuit, sa plume court sur le papier, alerte, prolongement d’un esprit vif, d’une immense culture, d’une réflexion aiguisée sur la vie, notre époque ou le monde des arts et des lettres.

Je prends quelques pages que me laisse brièvement déchiffrer Paul. Je tombe sur cet aphorisme :  » Il fallait être Newton pour apercevoir que la lune tombe, quand tout le monde voit bien qu’elle ne tombe pas » . Plus loin, je prononce à voix basse :  » Un objet, un jour, ne tomba pas. Il demeura seul de son espèce, suspendu à un mètre du sol. Personne n’y comprend rien. On construisit un temple autour de lui.  »

Puis, une courte poésie suivie d’une réflexion (assassine) sur Edmond Rostand et précédée d’une vingtaine de lignes sur la sensation de liberté. Un bric à brac génial, totalement caché aux yeux de tous.

Je m’écrie :

– Mais, vous pouvez publier tout cela ! L’équipe de la NRF vous aidera à remettre ces éléments en forme !

Le regard de Paul, infiniment doux, compréhensif pour mon esprit qu’il doit trouver encore trop peu délié, se durcit très légèrement pendant que son index se couche sur des lèvres qui ne veulent pas trop en dire.

Je continue pourtant :

– Mais vous n’aimez pas ce que vous écrivez ?

Avec sa voix un peu voilée de fumeur, il me rétorque :

– Plaire à soi est orgueil, aux autres, vanité.

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