» Les faits tout d’abord : tout a commencé le 12 mars. Les postiers du central téléphonique sont excédés par l’absence de promotions et le favoritisme qui règne, selon eux, dans le tableau d’avancement. Ils lancent une grève que je qualifie d’insurrectionnelle et qui s’étend à toute la Poste. Ils demandent le départ du sous-secrétaire d’Etat aux postes Symian qu’ils rendent personnellement responsable de cette situation.
La suite vous la connaissez : le préfet de police Lépine essaie d’intervenir pour ramener le calme et il est blessé pendant les échauffourées.
La grève dégénère : des affrontements en pleine rue entre postiers grévistes et policiers en civil
C’est à ce moment que le gouvernement fait voter par la Chambre un pouvoir de révocation immédiate et qu’il envoie la troupe pour trier elle-même le courrier.
Fin mars, les délégués des grévistes sont reçus par le Président du Conseil Clemenceau qui refuse de satisfaire leurs deux exigences : l’assurance qu’il n’y aura pas de révocation et le départ du sous-secrétaire d’Etat.
Le mouvement se poursuit : trois millions de lettres et plus de 100 000 télégrammes sont en souffrance.
Pendant tout le mois d’avril et en début mai, les affrontements en grévistes et non grévistes se multiplient. Les interventions de la police et de l’armée sont quotidiennes. On dénombre plusieurs actes de sabotages que le gouvernement fait constater par la justice.
En dehors du monde postal, d’autres conflits sociaux violents ont lieu à Méru-sur-Oise, Mazamet et Hazebrouck.
Clemenceau tient bon.
La Chambre continue à soutenir l’exécutif par des votes de confiance et refuse une nouvelle fois le droit de grève des fonctionnaires.
A ce jour, 228 postiers ont été révoqués et le mouvement semble se tarir. »
Ma conférence à l’Ecole de Guerre comme professeur associé, en présence de son directeur le général Foch, me donne l’occasion, comme souvent, d’évoquer l’actualité immédiate. Les officiers qui m’écoutent sont attentifs. Certains d’entre eux ont dirigés des régiments engagés dans la répression des conflits sociaux. Discrètement -obligation de réserve oblige – ils se révèlent plus critiques que leurs collègues sur les méthodes du gouvernement :
» Est-ce bien à la troupe de faire du maintien de l’ordre ? »
» Ne risque-t-on pas, comme en 1907, une collusion entre les grévistes et les soldats qui sont souvent du même milieu social ? »
Je réponds à ces questions en expliquant qu’effectivement la troupe ne doit intervenir qu’en dernier recours. J’insiste sur le fait que les administrations doivent profondément être réformées pour améliorer les conditions de travail et d’avancement des fonctionnaires. Quand un conflit survient, c’est un signe d’échec de la direction au quotidien des services.
» Et l’armée, qui la réforme ? »
Foch se retourne, furieux et cherche des yeux l’officier impertinent qui a crié, caché au fond de la salle. Il demande, en vain : « quel est l’âne qui a dit cela ? »
Silence. Pas de Cgt dans l’armée, pas de conflits sociaux. Des régiments prêts à soutenir le gouvernement dans la répression.
Et surtout : silence dans les rangs.