18 août 1908 : Pour vivre vieux, mangez des yaourts !

Dîner avec des savants de l’Institut Pasteur.

Le Président du Conseil a tenu à rencontrer personnellement Alphonse Laveran, prix Nobel de médecine en 1907. Il m’avait donc demandé d’organiser un dîner en ville avec « ceux qui comptent dans cette prestigieuse maison » dont fait parti ce chercheur de 63 ans.

Laveran 1845-1922.jpg Alphonse Laveran, prix Nobel

Georges Clemenceau, lui-même médecin, s’est révélé particulièrement à l’aise au milieu des scientifiques invités.

Nous avons parlé des maladies dont on vient d’identifier la cause comme la malaria (due à un parasite protozoaire), la tuberculose (bacille de Koch) et de toutes les maladies (malheureusement les plus nombreuses) dont on continue à presque tout ignorer (comme le cancer).

Hypocondriaque de nature, inculte dans les domaines scientifiques, j’avoue que l’étalage de ces maladies, de leurs causes (souvent répugnantes), de leurs conséquences (forcément dramatiques) et des façons de s’en protéger (toujours contraignantes), m’a coupé l’appétit.

Horrifié, le teint pâle, j’imaginais mon assiette pleine de bactéries, mon verre rempli de microbes diaboliques et mes couverts souillés par on ne sait quelles mains sales de serveurs sans gant.

Mon voisin, le docteur Ilya Ilitch Metchnikov a su me rassurer. Avec son fort accent russe, son regard bienveillant, ce médecin reconnu m’a expliqué que mon corps contenait un système de défense naturelle, les « macrophages » qui pouvaient lutter spontanément contre les microbes susceptibles de l’attaquer (phagocytose).

Passionné par son sujet et s’exprimant simplement, il m’a même démontré que les bactéries n’étaient pas si dangereuses que cela. « Les fromages en contiennent beaucoup, sans risque pour l’organisme » m’a-t’il affirmé. Ces bactéries, selon lui, prolongeraient même la vie.

Il m’a cité l’exemple des vieux du Caucase qui atteignent des âges remarquables grâce à un consommation effrénée d’une sorte de … lait caillé, préparation appelée en Bulgarie, « yaourt ».

Ah ! J’étais soulagé; tout pouvait donc se régler avec les petits pots en verre plein de bon lait caillé de notre enfance. Foin de médicaments, de traitements compliqués, d’examens médicaux douloureux … Juste un peu de liquide blanc laiteux et nous pouvions envisager une longue vie avec des digestions faciles, un sentiment de bien-être et un sans aucun doute, un sommeil de bébé !

Ce bon docteur Metchnikov, voilà un scientifique comme je les aime.

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Le docteur Metchnikov, par Nadar

16 et 17 août 1908 : L’ Alsace et la Lorraine heureuses sans nous ?

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Un poste frontière entre l’Allemagne et la France

Une vision un peu simpliste des choses voudrait que l’on s’attriste de la situation de l’Alsace et de la Lorraine.

Tristesse française, certes. La perte de ces magnifiques régions à la suite du sinistre traité de Francfort du 10 mai 1871, alimente un puissant esprit de revanche au sein de notre pays.

Les diplomates allemands que je côtoie, ne cessent de répéter que Bismarck était personnellement contre cette annexion qui allait humilier la France. Soucieux d’équilibre européen, le Chancelier ne voulait pas que la France ait la volonté de se battre un jour à nouveau contre son empire. Pour cela, il fallait, selon lui, s’en tenir à une indemnité de guerre (qui serait assez vite oubliée) et ne pas créer un différent territorial susceptible de s’envenimer à moyen terme. Malheureusement, le sage Chancelier n’a pas été suivi. Le parti belliqueux prussien l’a emporté. Et notre Alsace Lorraine bien aimée a été annexée au Reich.

Je me pose souvent la question de savoir si les Alsaciens souhaitent un rattachement futur à la France.

A la fin de la guerre de 1870 et 1871, 100 000 d’entre eux ont choisi de rejoindre Belfort, Nancy et les environs. Et les autres ? Plus d’un million et demi sont restés dans leur région. Doit-on leur en vouloir ?

Ils participent à un régime qui a sans doute des défauts mais qui devient un Etat de droit. Ils élisent des représentants (une quinzaine) au Reichstag. Ils bénéficient d’un code civil rénové.

Les lois sociales allemandes qui aboutissent plus vite que chez nous (caisses maladie, caisses de retraites …) vont aussi s’appliquer en Alsace Lorraine.

L’empereur Guillaume II se soucie du patrimoine architectural de notre province regrettée. Il fait actuellement rénover, à grands frais, le château du Haut-Koenigsbourg.

Vue du château Le château du Haut-Koenigsbourg

Ceux qui se rendent régulièrement en Alsace notent que les sentiments anti-allemands diminuent. On est loin des années 1880 où les députés alsaciens se qualifiaient de « protestataires » et déposaient une motion au Reichstag pour s’élever vigoureusement contre l’annexion de leur région.

On me dit qu’en Alsace Lorraine, le français reste la langue  » distinguée « , celle des industriels et commerçants aisés, celle aussi des lettrés qui n’ont pas rejoint Nancy. Pour combien de temps ?

Pendant combien de temps cette petite province pourra résister à l’intégration dans le vaste Empire allemand, riche économiquement, puissant militairement et épris de culture et de sciences ?

16 août 1908 : Cette musique qui nous vient du froid

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Fjord norvégien

Très beaux chants au théâtre du Châtelet avec les « Concerts Colonne ». Des chants qui nous viennent du froid, du grand Nord, de Norvège.

J’avais déjà eu l’occasion d’écouter Edvard Grieg lors de son passage à Paris en 1903. Pour la première fois, depuis l’Affaire Dreyfus, le compositeur scandinave avait accepté cette année-là de se produire sur une scène française.

N’avait-il pas écrit en 1899 à M. Colonne pour l’informer « qu’après l’issue du procès Dreyfus il ne pouvait se décider à venir en France maintenant… Comme tous les étrangers, ajoutait-il, je suis indigné de voir le mépris avec lequel on traite la justice dans votre pays, de sorte que je me trouve dans l’impossibilité d’entrer en relations avec un public français… »

Le concert de 1903 avait commencé par quelques huées du public parisien, exigeant des excuses pour les propos de Grieg. Puis, la chaleur des rythmes lents norvégiens, la profondeur et la pureté des chants, la douce langueur qui se dégage de cette musique à forte identité, avait conquis l’auditoire qui avait fini par applaudir à tout rompre.

La représentation à laquelle je viens d’assister était plus courte mais aussi plus nostalgique. Elle rendait hommage au maître norvégien décédé en septembre 1907.

Ce n’était pas une oeuvre majeure qui était jouée, comme l’est « Peer Gynt » (d’après Ibsen) , mais de la musique chorale.

Chansons d’amour et psaumes côtoyaient des petites cantates qui ravissaient les quelques centaines d’inconditionnels de Grieg, présents dans une salle qui n’avait fait aucune publicité compte tenu du nombre restreint de places. Le Choeur était français mais comprenait quelques norvégiens.

On ne pouvait s’empêcher de penser, en entendant ces notes fluides, aux paysages époustouflants des fjords, des montagnes abruptes plongeant dans la mer, aux innombrables rivières d’eaux glaciales et pures s’écoulant entre d’immenses forêts désertes de toute présence humaine.

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Chute d’eau dans le Geirangerfjord

Ceux qui ont eu la chance de connaître personnellement Grieg, racontent que le compositeur, devenu une gloire nationale dans son pays indépendant depuis seulement deux ans, était en fait un solitaire.

Lassé des nombreux voyages où toute l’Europe l’acclamait, il se réfugiait de longues heures dans un chalet d’une seule pièce au fond d’un parc, près de Bergen, à Troldhaugen. Dans ce lieu tranquille, aménagé de façon simple mais chaleureuse, il réalisait à chaque nouvelle partition, la synthèse entre la musique romantique allemande, le folklore scandinave qu’il remet à l’honneur et une recherche plus personnelle de mélodies d’un premier abord un peu dissonantes mais finalement assez flatteuses.

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La maison de Grieg à Troldhaugen à côté de Bergen ; pour composer, le maître s’isole une centaine de mètres plus loin dans un chalet en bois.

Il y a des peuples qui ont conquis leur indépendance dans le sang. Les Norvégiens ont la chance – et le goût – de commencer leur histoire en musique. Ils s’écartent d’un Danemarck qu’ils appréciaient mais aussi d’une Suède à laquelle ils avaient été cédés en 1814.

Ils recherchent maintenant une identité culturelle. Grieg est arrivé à point nommé pour leur donner une âme , une richesse et pour tout dire : une légitime fierté.

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Entre « Mo i Rana » et « Trondheim-Laksforsen »

15 août 1908 : Pas de guerre en Indochine

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Luang Prabang

Conquête des coeurs, visions de contrées humides, chaudes, inondées de soleil, paysages fabuleux de monts arrondis à perte de vue, bruits assourdissants des eaux furieuses des rapides du Mékong, odeurs des forêts vierges inexplorées puis retour au calme dans une maison en bambous et paillottes … je pose sur ma table de nuit, rêveur, les premières pages du journal d’Auguste Pavie.

Fonctionnaire retraité installé en Bretagne, il est connu au ministère pour avoir délimité les frontières du Laos avec la Chine (c’était la fameuse « mission Pavie » ) après avoir placé ce royaume sous la protection de la France.

Il a fait cela sans tirer un coup de feu. Ses seules victimes demeurent les merveilleux papillons et autres insectes qu’il a collectionnés là-bas.

Il a su convaincre, souvent seul, les milliers d’habitants du nord de l’Indochine de se rallier à la République Française. Ses seules armes : l’écoute, la simplicité des attitudes, une parfaite connaissance des moeurs locales et des langues pratiquées, un vrai sens du rapport de force qui lui permet d’exploiter au mieux la peur suscitée par les ambitions du puissant Siam voisin.

Pavie m’a confié, quand il est parti à la retraite ( je représentais mon chef à la réception donnée en son honneur au Quai ), qu’il lui faudrait de nombreuses années pour relier, compléter, annoter, tous les documents réunis lors de ses missions en Indochine.

augustepavie.1203625897.jpg A. Pavie

Ce que j’ai déjà pu voir, ce soir, de son oeuvre laisse admiratif.

Il nous fait revivre son aventure avec un vrai sens des effets et du suspens. Nous le suivons haletants, lorsqu’il sauve d’une mort certaine le vieux roi de Laos à Luang Prabang. Nous tremblons avec lui quand il arrive à échapper in extremis aux redoutables pirates chinois « Pavillons-Noirs » .

Patiemment, avec beaucoup de poésie et de souci du détail, c’est aussi toute une civilisation qu’il fait revivre pour nous. Sur des centaines de pages, s’étalent des relevés topographiques, des dessins de flore et de faune exotiques et des analyses passionnantes d’ethnologie ou d’histoire locale.

Il faut que je parle d’Auguste Pavie à G. Clemenceau. A minima, je calmerai peut-être les ardeurs anti-coloniales de mon Patron. Au mieux, il acceptera de rédiger une dédicace pour ce journal, séduit par la personnalité passionnée et idéaliste de son auteur.

14 août 1908 : Triste Tahiti

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Paul Gauguin, « Deux filles portant un plat de fruits »

Une histoire complexe, un auteur inconnu qui écrit à compte d’auteur, un titre incompréhensible !

 » Les Immémoriaux  » de Victor Segalen restent une oeuvre qui a toutes les chances de sombrer dans l’indifférence totale du grand public. Georges Clemenceau qui reçoit tant et tant d’ouvrages dédicacés par des fonctionnaires – aux talents pour le moins variés – m’a pourtant demandé de jeter un oeil sur ce livre qui l’intrigue.

 » Lisez ce bouquin quand vous aurez un moment. J’ai entendu parler de Victor Segalen. Comme médecin dans la Marine, je ne sais pas ce qu’il vaut, mais comme admirateur et redécouvreur des oeuvres de ce peintre mort injustement dans la misère qu’était Gauguin, il faut lui reconnaître un talent certain.  »

Et il a ajouté :  » … Si j’en crois les quelques dizaines de pages que j’ai déjà parcourues, il aborde la disparition progressive de la civilisation des indigènes de Tahiti, détruite par les missionnaires de tous poils et les colons à courte vue … Lisez, je vous dis ! Il me faut des exemples concrets permettant de contrer le parti des colonisateurs quand ils sont trop gourmands d’un point de vue budgétaire, lors des débats à la Chambre . »

Collaborateur obéissant, j’ai répondu que le marchand d’art Ambroise Vollard m’avait déjà fait découvrir Gauguin et que j’étais donc ravi de me plonger dans l’oeuvre d’un écrivain évoquant l’univers de ce peintre.

En fait, Segalen nous immerge dans un monde où nous perdons beaucoup de nos repères. Nous sommes placés, une fois n’est pas coutume, du point de vue du colonisé et non du colonisateur.

Et ce que nous découvrons, au fil de pages denses mais très bien écrites, c’est toute une civilisation qui disparaît. L’arrivée du navire des Blancs, protestants, à Tahiti, à la fin du XVIII ème siècle, sonne le glas d’une langue et d’habitudes de vie étranges mais fascinantes.

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Hodges, « Resolution and Adventure in Matavai Bay », l’arrivée des premiers navires européens à Tahiti.

Avant la conquête occidentale, Les Tahitiens aiment les femmes, les honorent souvent et pas toujours au sein de couples bien établis. Dans des luttes viriles ou des courses de pirogues, ils établissent leur hiérarchie sociale et règlent leurs différents. Sous un soleil permanent et au sein d’une nature paradisiaque, ils affectionnent les fêtes bien arrosées où chacun exprime une vitalité de tous les instants.

Leurs chants, leurs danses joyeuses, leurs légendes très imaginatives, leurs rites sauvages et parfois cruels, les opposent en tous points à l’austère morale protestante de leurs colonisateurs.

Comme on s’en doute, la Sainte Ecriture et la langue des Blancs vont l’emporter sur le « parlé » des Tahitiens, des Maohis, qui n’a pas su prendre un forme écrite.

Térii, le héros maohi, chargé par son vieux maître Paofaï, de mémoriser les légendes et la langue de tout son peuple , devient le traître. Il efface de son esprit les mythes et la généalogie des rois et se vend moralement aux hommes blancs en espérant occuper une place dans leur hiérarchie.

Par ses gestes irréparables, il contribue à la transformation de ses compatriotes en « Immémoriaux », en individus déracinés et sans mémoire. Il aide au triomphe destructeur de la civilisation européenne.

Ce livre attachant d’un homme jeune – Victor Segalen a 29 ans – permet de poursuivre le combat désespéré que menait Gauguin à la fin de sa vie, alors malade et affaibli, pour la dignité des indigènes des Iles, soumis aux caprices et aux abus des Autorités occidentales.

En reposant sur ma table de chevet « Les Immémoriaux », je réalise combien cette lutte pour préserver les indigènes et leur culture se révèle pour l’instant sans espoir.

Personne ne lira Victor Segalen. Peut-être pourra-t-on faire découvrir avec Ambroise Vollard, les oeuvres de Gauguin. Mais beaucoup n’y verront que de belles couleurs, des jolies « sauvages » à la peau hâlée. Les Parisiens rêveront un peu et passeront leur chemin.

Et des langues, des rites millénaires, des légendes merveilleuses, continueront à se perdre dans un oubli révoltant.

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Gauguin,  » Vairumati « 

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Gauguin,  » D’où venons nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? « 

13 et 14 août 1908 : Vatican : Retour aux traditions

Popepiusx.jpg Le pape Pie X

Comme beaucoup de fonctionnaires votant « radical », je ne vais pas à la messe. Aimant penser en toute liberté, je ne fais pas parti a priori de ceux qui soutiennent notre nouveau pape Pie X.

Les attaques dont fait l’objet le prêtre français Alfred Loisy, de la part du Vatican, m’inquiètent. Dans l’encyclique  » Pascendi Dominici « , le pape met en cause avec vigueur ceux qui défendent les thèses modernistes, comme le père Loisy. Le souverain pontife réfute la distinction entre le Christ de la Foi et le Christ historique. Il condamne ceux qui pensent que Jésus n’a pas voulu fonder une Eglise ou instituer des sacrements.

Il est dommage que les analyses ne puissent pas s’exprimer plus librement au sein de l’église catholique romaine. Idéalement, il faudrait que puissent cohabiter ceux qui pensent comme le Pape et ceux rejoignent les options d’Alfred Loisy, sans que les uns obligent les autres à se soumettre.

Notre monde qui bouge très vite a besoin de ceux qui réfléchissent très librement et s’affranchissent des dogmes. Il a aussi besoin de repères immobiles et de quelques certitudes rassurantes. Pourquoi devoir faire un choix entre une messe en latin dont l’impeccable ordonnancement ne bouge pas depuis des dizaines d’années et des écrits « révolutionnaires  » qui proposent de changer le monde ?

On dit que le pape, sans véritable expérience internationale, suit son très jeune secrétaire d’état, brillant et polyglotte, Rafael Merry del Val. Ce dernier se révèle comme un homme très conservateur. Certains milieux radicaux prétendent qu’il déteste la France et les Français ; ce qui est sans doute exagéré et simpliste.

Les deux hommes se rejoignent pourtant dans un même profond refus de la loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ils font tout pour qu’elle ne puisse porter ses fruits, notamment en refusant la formation d’associations cultuelles.

Je regrette beaucoup Léon XIII, disparu il y a quatre ans maintenant. Il avait su porter un regard critique sur notre capitalisme et défendre la classe ouvrière dans son encyclique « Rerum Novarum « .

S’il était toujours notre pape, je serais peut-être retourné à la messe !

12 aout 1908 : Enfin un cambrioleur sympathique !

Maurice Leblanc

Un vrai délassement ces nouvelles du gentleman cambrioleur Arsène Lupin, parues dans la revue « Je Sais Tout » l’an dernier puis publiées cette année en petits livres pas chers.

L’auteur, Maurice Leblanc, nous emmène dans un monde gentiment « canaille » mais aussi élégant. On fréquente les riches et gens bien élevés, les châteaux et hôtels particuliers mais aussi, on vole, on pille, on trompe et on escroque.

Les voyous aux grands coeurs, menés par Lupin, côtoient et volent des bourgeois et aristocrates huppés mais pas toujours droits. Arsène Lupin redistribue les richesses vers les pauvres (en gardant les oeuvres d’art pour lui!), comme un Robin des Bois des temps modernes.

L’ambiance est à l’humour: La police se couvre souvent de ridicule, les puissants sont trompés et les petites gens sont protégées et vengées.

Le héros reste invincible. Supérieurement intelligent, rapide et souple comme un félin, il contourne ou franchit tous les obstacles, se tire des mauvais pas les plus invraisemblables. Insaisissable, mystérieux, parfois méconnaissable, il excite la curiosité du lecteur. Enveloppé de mystère, il donne envie de tourner les pages pour en savoir plus.

Passionné et séduit par les jolies femmes qui se pressent sur son passage, il s’affirme comme un personnage bien français. Sa force rassure, son humour détend, son élégance naturelle réduit son recours à la violence brute.

La fascination qu’il exerce sur le public, sur les lecteurs, montre que notre société a besoin de ce héros au final rassurant. Il dispense une justice plus équitable que celle des hommes, sans bouleversements sociaux, sans remise en cause trop forte de l’ordre établi.

Arsène Lupin, héros « radical socialiste » en quelque sorte?

11 aout 1908 : C’est le moment d’investir en Chine

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La Chine, un « gâteau » à se partager entre puissances européennes

Un fonctionnaire plein d’idées, un diplomate de talent, un nom célèbre et maintenant un prénom : Philippe Berthelot.

J’ai reçu, ce jour, le jeune sous directeur d’Asie au Quai d’Orsay, fils du scientifique et homme d’Etat Marcellin Berthelot, décédé l’an dernier.

Philippe Berthelot ne tient pas en place dans mon bureau. S’asseyant ou se levant brusquement, le regard fiévreux, son débit verbal accélère au fur et à mesure qu’il expose son (beau) projet. Passionné par la Chine, il souhaite que les pouvoirs publics français s’y organisent comme le font les Anglais.

Ceux-ci entretiennent là-bas trois entités liées entre elles : une banque d’affaire, un organisme de recherche de projets industriels et un groupement d’importation de matériel britannique.

Mon interlocuteur propose donc la création d’une banque franco-chinoise implantée à Pékin ou Shangaï, montée avec les capitaux de la Banque de l’Indochine.

 » Ce serait une banque idéale !  » ne cesse-t-il de marteler, le doigt levé comme un prêcheur.

Pour son projet destiné à favoriser le rayonnement français, il a besoin du soutien du Président du Conseil. Et pour cela, je suis chargé d’étudier sa demande et de proposer une décision à G. Clemenceau.

A priori, je n’aurais pas de raisons de m’opposer à la démarche si la Banque de l’Indochine acceptait d’apporter les capitaux voulus. Or, c’est là que le bas blesse. Cet établissement de financement de l’expansion coloniale, dominé par les grandes banques parisiennes, ne souhaite pas mettre un sou dans « l’aventure franco-chinoise ».

Depuis la révolte des boxers, matée en 1900 par une coalition armée européenne, le pays reste considéré par nos financiers comme peu sûr. Ces derniers investissent donc là bas à court terme, de façon spéculative -sur des projets allemands ou anglais – mais se méfient d’implantations industrielles françaises plus durables.

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Une compagnie de Boxers à Pékin. Cette société secrète chinoise est à l’origine d’une grande révolte contre les occidentaux en 1899 et 1900.

Philippe Berthelot ne comprend pas cette frilosité.

« Rendez-vous compte ! Toute l’Europe prend sa part de gâteau dans cet Empire chinois. Il y a là-bas plein de ressources minières, des voies de chemin de fer et même quelques premières usines. Le pays commence à se rénover sous l’impulsion de sa vieille impératrice Cixi. A la suite de la guerre russo-japonaise d’il y a deux ans qui s’est déroulée – humiliation suprême – sur leur territoire, les Chinois ont pris conscience qu’ils devaient faire des réformes. La cour mandchoue a aboli les concours traditionnels de recrutement des fonctionnaires au profit d’examens modernes. Le système d’éducation est repensé en profondeur. Les finances sont rééquilibrées et le système monétaire sera refondu.

Croyez-moi, c’est le bon moment pour investir en Chine. Ne laissons-pas les Allemands ou les Anglais, voire les Américains, y aller seuls. « 

C’est malheureusement ce qui risque de se passer.

Après que le jeune sous directeur du Quai ait quitté mon bureau, non sans avoir laissé un volumineux dossier sur son projet, j’ai abordé le sujet avec le President du conseil.

Celui-ci veut bien recevoir personnellement Philippe Berthelot (« s’il est aussi doué que son père, il a de l’avenir ce garçon ! ») pour parler… d’art chinois. Mais donner la caution de l’Etat pour des investissements d’ampleur dans ce pays, il n’en est pas question.

G. Clemenceau : « La France s’épuise dans ces aventures à l’autre bout du monde. Nous n’avons pas assez d’argent, de personnels, de compétences pour arroser toute la planète. L’énergie et le sang gaulois sont trop rares, gardons les pour l’Hexagone et les défis européens que nous avons à relever ».

Ainsi, la Chine s’éveille … mais sans nous.

10 et 11 aout 1908 : Comment éduquer nos enfants ?

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W-A Bouguereau « Enfant tressant une couronne »

Comment éduquer nos enfants ?

Chacun a une réponse et si nous voulons nous fâcher avec nos meilleurs amis, il suffit de dire que nous n’approuvons pas leurs méthodes.

Si la liberté est de mise dans le cercle familial, il faut bien en revanche arriver à une norme pour l’école de la République.

Lire, écrire, compter, aimer sa patrie. Il est bon que tous les petits Français apprennent ces savoirs essentiels. Depuis trente ans, les petits campagnards comme les enfants d’ouvriers sont tirés de l’ignorance grâce à l’Ecole Publique, héritière de Jules Ferry.

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W-A Bouguereau « La Leçon Difficile »

Il est intéressant d’observer les nouvelles méthodes qui se mettent en place dans d’autres pays que le nôtre.

Un journaliste, correspondant à Rome, rencontré dans une soirée hier soir, me fait part des expériences lancées par Maria Montessori, dans un quartier populaire de la ville des Papes.

La  » Casa dei Bambini  » , accueille, depuis cette année, les rejetons des habitants du quartier pauvre San Lorenzo.

Dans cet endroit qui doit être pour les enfants un lieu de rêve, les petits êtres sont écoutés, observés et développent leurs connaissances à leur rythme.

Les parents sont les bienvenus. Ils aident l’institutrice à garantir une bonne hygiène des enfants.

Maria Montessori.jpg Maria Montessori

Je suis frappé par les différences entre cette méthode originale et ce que nous pratiquons dans nos écoles de la III ème république.

Les petits  » bambini  » ne sont ni punis ni battus quand ils ne comprennent pas. On ne les force pas à apprendre et les enseignants les entourent d’un grand respect.

Maria Montessori part du principe que l’enfant est  » fait pour apprendre « . Il suffit d’attendre le bon moment, celui où il est le plus réceptif.

Sa sensibilité propre ne le porte pas vers tous les types de savoirs au même moment. Il faut savoir patienter pour que chaque enfant puisse se tourner vers eux au moment où sa personnalité l’invite naturellement à le faire.

Arrivés à l’âge adulte, nous, Français, sommes nombreux à nous plaindre de la trop grande sévérité de certains maîtres pendant notre scolarité. Les coups de règle sur les doigts, les séances au coin avec un bonnet d’âne, en ont marqué plus d’un.

Pour autant, doit-on adopter les méthodes très (trop ?) souples de Maria Montessori ? N’est-ce pas passer d’un extrême à l’autre ?

En attendant de répondre à cette question, il est plaisant de savoir que Maria Montessori est … fille de militaire.

William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - A Calling (1896).jpg W-A Bouguereau « La Vocation »

8 et 9 aout 1908 : Apocalypse Congo

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Je viens de lire un texte terrible sur ce qui semble se passer dans le Congo dirigé par nos voisins belges :  » King Leopold’s Rule in Africa  » de E.D. Morel.

Ce que je lis me fait honte pour les hommes blancs colonisateurs que nous sommes.

Il est évoqué, dans ce pays sous gouvernement direct du Roi, un système très organisé de travail forcé permettant la production de l’ivoire et du caoutchouc.

Pour permettre le transfert de population vers les zones de production, sont pratiqués des déplacements massifs de familles entières entre provinces.

Des villages se vident de leurs habitants et d’autres connaissent le surpeuplement et la famine.

Victimes de mauvais traitements de la part de l’administration coloniale ( » la Force Publique » ), on ne compte plus les blessés ou les décès par épuisement.

L’opinion publique européenne commence à être sensibilisée sur cette situation. Des écrits de Mark Twain, de Arthur Conan Doyle viennent compléter le document de E.D. Morel.

Le Roi des Belges Léopold II oscille entre une reconnaissance sincère de la situation générant des mesures correctrices et la dénégation farouche.

Contrairement à certains officiels belges, je ne crois pas que tout ce qui s’écrit sur le Congo vient d’un complot britannique contre le Royaume de Belgique.

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Nous autres Français, devons rester modérés dans nos critiques. Les échos qui me parviennent sur les conditions de notre domination sur Brazzaville et le Congo français montrent que Paris ne semble guère plus humain que Bruxelles dans le traitement réservé aux ethnies locales.

Tout cela me fait penser à ce long récit, « Au Coeur Des Ténèbres », de Joseph Conrad. L’écrivain évoque ce jeune officier qui remonte un fleuve africain à la recherche d’un collecteur d’ivoire fascinant mais sombre, dont on est sans nouvelle : Kurtz.

Au fur et à mesure de son périple, l’officier, embauché par une compagnie commerciale belge, s’éloigne de toute civilisation et rencontre une humanité de plus en plus sauvage et primitive. Il s’enfonce au coeur de l’Afrique mystérieuse et découvre cette part obscure et cachée de l’homme.

Je me demande si la colonisation n’est pas un long voyage de tout l’Occident  » au coeur des ténèbres ». Expédition sans retour où nous risquons de perdre notre âme.

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