Paul Gauguin, « Deux filles portant un plat de fruits »
Une histoire complexe, un auteur inconnu qui écrit à compte d’auteur, un titre incompréhensible !
» Les Immémoriaux » de Victor Segalen restent une oeuvre qui a toutes les chances de sombrer dans l’indifférence totale du grand public. Georges Clemenceau qui reçoit tant et tant d’ouvrages dédicacés par des fonctionnaires – aux talents pour le moins variés – m’a pourtant demandé de jeter un oeil sur ce livre qui l’intrigue.
» Lisez ce bouquin quand vous aurez un moment. J’ai entendu parler de Victor Segalen. Comme médecin dans la Marine, je ne sais pas ce qu’il vaut, mais comme admirateur et redécouvreur des oeuvres de ce peintre mort injustement dans la misère qu’était Gauguin, il faut lui reconnaître un talent certain. »
Et il a ajouté : » … Si j’en crois les quelques dizaines de pages que j’ai déjà parcourues, il aborde la disparition progressive de la civilisation des indigènes de Tahiti, détruite par les missionnaires de tous poils et les colons à courte vue … Lisez, je vous dis ! Il me faut des exemples concrets permettant de contrer le parti des colonisateurs quand ils sont trop gourmands d’un point de vue budgétaire, lors des débats à la Chambre . »
Collaborateur obéissant, j’ai répondu que le marchand d’art Ambroise Vollard m’avait déjà fait découvrir Gauguin et que j’étais donc ravi de me plonger dans l’oeuvre d’un écrivain évoquant l’univers de ce peintre.
En fait, Segalen nous immerge dans un monde où nous perdons beaucoup de nos repères. Nous sommes placés, une fois n’est pas coutume, du point de vue du colonisé et non du colonisateur.
Et ce que nous découvrons, au fil de pages denses mais très bien écrites, c’est toute une civilisation qui disparaît. L’arrivée du navire des Blancs, protestants, à Tahiti, à la fin du XVIII ème siècle, sonne le glas d’une langue et d’habitudes de vie étranges mais fascinantes.
Hodges, « Resolution and Adventure in Matavai Bay », l’arrivée des premiers navires européens à Tahiti.
Avant la conquête occidentale, Les Tahitiens aiment les femmes, les honorent souvent et pas toujours au sein de couples bien établis. Dans des luttes viriles ou des courses de pirogues, ils établissent leur hiérarchie sociale et règlent leurs différents. Sous un soleil permanent et au sein d’une nature paradisiaque, ils affectionnent les fêtes bien arrosées où chacun exprime une vitalité de tous les instants.
Leurs chants, leurs danses joyeuses, leurs légendes très imaginatives, leurs rites sauvages et parfois cruels, les opposent en tous points à l’austère morale protestante de leurs colonisateurs.
Comme on s’en doute, la Sainte Ecriture et la langue des Blancs vont l’emporter sur le « parlé » des Tahitiens, des Maohis, qui n’a pas su prendre un forme écrite.
Térii, le héros maohi, chargé par son vieux maître Paofaï, de mémoriser les légendes et la langue de tout son peuple , devient le traître. Il efface de son esprit les mythes et la généalogie des rois et se vend moralement aux hommes blancs en espérant occuper une place dans leur hiérarchie.
Par ses gestes irréparables, il contribue à la transformation de ses compatriotes en « Immémoriaux », en individus déracinés et sans mémoire. Il aide au triomphe destructeur de la civilisation européenne.
Ce livre attachant d’un homme jeune – Victor Segalen a 29 ans – permet de poursuivre le combat désespéré que menait Gauguin à la fin de sa vie, alors malade et affaibli, pour la dignité des indigènes des Iles, soumis aux caprices et aux abus des Autorités occidentales.
En reposant sur ma table de chevet « Les Immémoriaux », je réalise combien cette lutte pour préserver les indigènes et leur culture se révèle pour l’instant sans espoir.
Personne ne lira Victor Segalen. Peut-être pourra-t-on faire découvrir avec Ambroise Vollard, les oeuvres de Gauguin. Mais beaucoup n’y verront que de belles couleurs, des jolies « sauvages » à la peau hâlée. Les Parisiens rêveront un peu et passeront leur chemin.
Et des langues, des rites millénaires, des légendes merveilleuses, continueront à se perdre dans un oubli révoltant.
Gauguin, » Vairumati «
Gauguin, » D’où venons nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? «
Après ces Maoris, qui effaçons-nous de la surface de la terre? Des paysans chinois, des habitants de Pékin?
Vive l’an O1!
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Les Maoris sont les habitants de Nouvelle Zealand, ceux de Tahiti s’appellent des Maohi.
La culture polynesienne (et pas seulement Tahitienne mais aussi Marquisienne) est bien vivante, changeante en grande partie grace a la France.
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Merci pour cette information. Rectification faite. Je suis heureux d’ apprendre ce qui se passera pour cette belle culture dans 100 ans.
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Mise à distance toujours aussi passionnante et si magnifiquement illustrée.
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Maori en dialecte de Aotearoa (Nouvelle Zélande) et Maohi en dialecte de l’archipel de la Société (étendue) signifient : autochtone
Le tahitien se désigne sous l’expression: taata tahiti – être humain de tahiti; un originaire de Rurutu par : taata Rurutu ou Rurutu tout cours.
Les « Marquises » sont désignés par ces habitants par l’expression: henua enata – terre des êtres humains
Dans les anciens temps on se présentait en identifiant son marae ancestral et non le territoire de naissance: je suis Truc de la lignée des Machin du marae de Bidule…
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