8 juillet 1908 : Nos enfants seront plus pauvres que nous

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Renoir : La Loge.   Quelques riches toujours plus riches, beaucoup de pauvres qui n’espèrent plus rien, bref, une société qui se délite…

Pour qu’une société soit solide, pour qu’elle connaisse la cohésion, il faut que la partie la plus influente de ses membres ait le sentiment d’être gagnante dans la répartition des biens et des honneurs. Au sein d’une société démocratique, dirigée par le suffrage universel, cette partie influente doit aussi être majoritaire en nombre.

Les rapports des préfets qui remontent ces derniers temps font part d’une inquiétude croissante des classes moyennes, celles-là même qui soutiennent volontiers le régime en place. Ce sont des salariés des grands magasins, des petits commerçants, des fonctionnaires de la petite et moyenne fonction publique, des employés dans les bureaux des grands entreprises. Ils ont cru pendant longtemps que leur position allait s’améliorer : leurs enfants seraient plus riches qu’eux, occuperaient une fonction moins dure ou plus attrayante que la leur.

Il n’en est rien.

La boutique et l’artisanat permettaient pendant une bonne part du XIXème siècle de s’enrichir ; ils conduisent tout au plus, aujourd’hui, dans la plupart des cas, à conserver son rang social.

L’entrée dans la fonction publique, qui semblait devenir une voie d’accès aux honneurs et au pouvoir dans la République des années 1880, reste beaucoup plus fermée qu’elle ne veut bien l’admettre. Le système des concours n’est pas généralisé, le favoritisme et le népotisme sont encore pratique courante. Le traitement des agents demeure en outre tellement bas qu’il n’est guère possible de tenir « son rang » sans fortune personnelle lorsqu’on accède à des hautes responsabilités.

Les entreprises elles-même n’offrent pas les promotions sociales attendues : les dirigeants restent issus de grandes familles (les Say, les Schneider, les de Wendel) et un employé modèle d’une banque ou d’une grande société industrielle, n’a aucune chance de gravir tous les échelons menant au sommet.

Le préfet de la Seine évoque cette barrière invisible qui ferme la haute bourgeoisie aux prétendants issus des classes plus modestes. Lors d’une réception, il faut « savoir tenir sa tasse de thé, son chapeau, ses gants…et engager une conversation plaisante, sous le regard impitoyable des autres invités. Malheur au fils d’ouvrier ou de petit employé ! Il n’a aucune chance de se sortir de cette épreuve mondaine. Aucune chance d’y rencontrer le beau parti richement doté ; aucune chance de rencontrer le patron qui le cooptera à un poste envié ».

Impossible de grimper dans la société ? Facile en revanche de dégringoler. On ne compte plus les enfants de bourgeois dont le petit patrimoine a fondu comme neige au soleil à la suite de placements peu avantageux. On cite aussi les rejetons de la noblesse ou des classes aisées qui choisissent le service de l’Etat : ils s’appauvrissent fortement en une seule génération en raison de la faiblesse des traitements.

Les hausses des prix, la stagnation des revenus, grignotent impitoyablement, le début d’aisance qu’avaient connu les classes moyennes, il y a vingt ou trente ans. « Joindre les deux bouts » redevient la préoccupation de tous et pas seulement des ouvriers.

Au dessus de ce monde, règne une petite élite très préservée. Rentes, grosses fortunes, immeubles particuliers, écoles prestigieuses pour les enfants, domestiques à profusion, châteaux en province. Le préfet de la Seine, toujours, signale que 400 fortunes totalisent les deux tiers du montant total des successions enregistrées dans la capitale… pendant que 80 % des Parisiens meurent sans laisser un sou à leurs héritiers.

D’un côté, des riches, toujours plus riches, peu nombreux, jouant du piano pour tromper le mol ennui des soirées chic. De l’autre, une petite bourgeoisie, des fonctionnaires et salariés qui s’appauvrissent et voient l’avenir en noir.

Deux mondes qui se parlent peu et se méprisent. Une fracture qui fragilise la République.       

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