Je laisse mon patron dîner avec Jaurès. Les grands avec les grands. Ce soir, je vais boire un verre avec un socialiste beaucoup plus discret. Je veux parler de Léon Blum, collègue et ami du Conseil d’Etat, passionné de littérature : sa réputation de critique littéraire n’est plus à faire.

Comme d’habitude, je sais que Léon et moi, nous parlerons de nos enfants, du prochain livre de Gide, de la dernière pièce de Paul Bourget, Tristan Bernard ou de Georges de Porto-Riche ou enfin de la petite vie du Conseil d’Etat rythmée des derniers arrêts marquants où le commissaire de gouvernement a su faire avancer le droit avec de brillantes conclusions.
Depuis son départ de l’Humanité en 1905, Blum ne parle plus guère politique. Il reste adhérent à la Sfio mais semble mépriser ses dirigeants. Il me fait penser à ces chrétiens sincères qui se lamentent de la faiblesse du curé de leur paroisse et de l’étroitesse des vues du pape. » Je ne milite plus et ne prends plus position. Les tribunes et les rassemblements me fatiguent. Les grands discours de nos dirigeants me navrent. Je préfère le calme des livres, l’excitation intellectuelle des pièces de théâtre et les joies de la vie de famille. »
Léon me laisse perplexe. Je connais ses talents de lutteur politique, de polémiste, son goût pour les combats à la Chambre et l’odeur de la poudre qui va avec. Est-il vraiment comme un cheval de course qui se serait mis à aimer les tours de manège ou un financier de haut vol qui se contenterait de collectionner les bons du Trésor ? Je doute…
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Il y a un an…
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