Elle se sait belle et adore les regards plongeants du député dans son décolleté. Dents blanches, parfum Coty, jolies boucles rousses qui retombent sur sa robe ivoire en mousseline et soie, des yeux gris verts qui invitent au rire et à l’abandon. Joséphine fréquente une fois de plus l’un des salons du Lapérouse, sur le quai des Grands-Augustins.
Restaurant cossu, bonne cuisine bourgeoise mais fréquentations coquines. On y croise des grands patrons et des banquiers, des parlementaires et des diplomates, toujours joliment accompagnés par des belles de jour et des princesses de la nuit. Les serveurs ne pénètrent dans les salons particuliers qu’après avoir frappé et vérifié une dernière fois qu’ils n’arrivent pas à un moment délicat.
On prétend que les multiples rayures sur les boiseries viennent des vérifications par les cocottes de l’authenticité des diamants qu’on leur offre. D’aucuns affirment que chacune d’entre elles marque son passage d’une croix ou de tout autre signe, « en souvenir » de ses conquêtes au sein de l’élite de la République, du patronat et de la haute finance.
On s’amuse et on batifole au Lapérouse. Le champagne irrigue ce petit paradis libertin où les soupirs ne signifient pas l’ennui et les cris ne révèlent nulle colère. Plaisirs de la table, amuse bouches et hors d’œuvre avant plats de résistance plus lestes. Poulet docteur ou viande saignante pour l’homme dans la force de l’âge contre gratin de langoustines et dessert sucré glacé pour la femme qu’il couve du regard.
Joséphine choisit ses rencontres : elle les veut riches et beaux, drôles et, surtout, juste ce qu’il faut de fragile pour avoir envie de les dorloter. Elle est suffisamment courtisée pour éviter les rougeauds à l’haleine forte ou les hauts fonctionnaires coincés. Elle préfère donc les héritiers aux parvenus, les aristos décadents aux anciens élèves méritants.
Joséphine a conscience que sa gloire ne durera pas. Sa beauté se fanera vite, alors elle profite de ces instants magiques, de ces bras galants qui se tendent vers elle, dans ce restaurant Lapérouse au service intentionné et au personnel si discret.
Vers minuit une heure, l’établissement ferme. Il est de bon ton de partir avant, sans être reconnu en sortant et de finir la soirée dans d’autres salons ou alcôves. Continuer ailleurs et longtemps cette nuit parisienne réputée dans le monde entier précisément parce qu’elle ne s’arrête jamais.
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