« 100 000 morts en Russie. Le choléra arrive ! » Mon collègue repose son journal et annonce, fier de son petit effet, la nouvelle à la cantonade. « Il faut fermer les frontières, envoyer l’armée, interdire la circulation des personnes. » ajoute-t-il, dans son petit délire du matin.
Je lui demande de se taire. Devant son bureau, j’étale silencieusement une grande carte de l’Empire du tsar. 170 millions de sujets, des espaces infinis, un État central arrêté par de puissants hobereaux locaux, une paysannerie et un monde ouvrier très pauvres. Viennent s’ajouter à cela des conditions d’hygiène souvent très rudimentaires.
Une Russie où l’on dénombre avec effroi 100 000 cas de choléra par an…
Je commente : « Tu vois, Pierre, 100 000 cholériques, là-bas, c’est à la fois beaucoup et très peu. Cela traduit seulement un mauvais approvisionnement en eau potable pour de nombreux villages, des cours d’eau parfois infectés et des médecins dépassés quand l’épidémie commence dans certaines régions. Une personne atteinte gravement sur 1700, il n’y a pas encore de quoi rapatrier nos ingénieurs, nos financiers ou conseillers militaires et rompre l’alliance franco-russe ! »
Pierre ne s’avoue pas vaincu : « Ne rien faire ne va pas rassurer la population. Il faut agir en grand. Doubler les effectifs des douaniers, contrôler devant la presse tous les produits qui viennent de Russie, mettre en alerte quelques régiments de dragons qui pourraient patrouiller aux frontières. Tout cela plairait à l’opinion publique. »
J’objecte : « Tu es d’accord que ce déploiement de moyens ne servirait à rien puisque la propagation du choléra se fait principalement par l’eau. Or, aucun cours d’eau ne va de l’Oural jusqu’à nos verts pâturages gaulois ! Un millier de cuirassiers sabres au clair constituent une véritable plaisanterie pour empêcher l’arrivée d’un tel microbe.»
Pierre tend un doigt professoral dans ma direction : « Peut-être, peut-être, mon cher Olivier. Mais que cherche-t-on réellement, dans notre cabinet ? A lutter contre une épidémie russe ou faire réélire tous les députés du parti radical ? Quelques beaux douaniers, des contrôles tatillons des importations, des visites aux frontières de ministres gravement penchés sur le problème, le déblocage d’urgence de quelques centaine de milliers de francs pour indemniser des médecins parisiens envoyés sur place, cela impressionne et voilà des voix en plus lors des prochaines élections ! »
Une épidémie largement imaginaire, la recherche des faveurs de l’opinion publique, l’envie de rassurer le petit peuple : Pierre sait manier ces ingrédients avec talent. Un jour, il sera ministre.
L’épidémie arrive, envoyons les cuirassiers !
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« Il y a 100 ans. 1910 » http://www.oeuvre-editions.fr/Il-y-a-100-ans
Je découvre ce matin « Petite épidémie, débauche de moyens » et j’entends au même moment que notre Ministre ne sait plus comment bradouiller des millions de doses de vaccin anti-grippe qu’elle a achetées UNIQUEMENT pour avoir le beau rôme en cas de vrai et grave problème… Ca c’est du journalisme
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Je découvre ce papier et j’entends au même moment que mes impôts ont servi à l’achat de millions de vaccins dont notre ministre ne sait plus comment se débarrasser…
Ca, c’est du vrai journalisme : Bravo !
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Ce ne sont pas de sabreurs dont nous avons besoin mais de bons douaniers et si cela ne suffit pas, de services médicaux réactifs.
Heureusement, ici, à Marseille, nous les avons!
Début octobre 2010 des voyageurs débarquant d’un bateau en provenance du Pirée, en Grèce, pourtant « cholera free », sont signalée comme malades du choléra. Ils sont aussitôt isolés et soignés par les services compétents. Seule une employée de l’hôtel où ils logèrent fut elle aussi atteinte.
Aussi le nombre de malades pour la France s’élevera seulement à 4 cette année là, alors même que l’Italie, moins vigilante va vivre en 1910 une véritable épidémie, aux alentours de Naple notamment, qui va provoquer la mort de près de 800 personnes (pour 1 700 cas identifiés) dans ce pays.
Nous ne permettrons pas aux nuisibles bacilles de venir souiller notre belle terre de France. Qu’on se le dise !!
Hasta la Lucha
Olivier de la Cane, Cane, Cannebière…..
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