« Marcheu, trou de Diou, Marcheu, pétard de Diou ! » On sent que le recteur qui a dû reproduire ces propos dans sa note, s’est étouffé de colère. La demande de financement de 300 000 livres de chants par ce haut responsable de l’Instruction Publique s’appuie sur la volonté de faire mieux pénétrer la langue française dans l’ensemble de nos régions. « Il n’est pas admissible que la Marseillaise puisse être entonnée avec des couplets en provençal complétant les fières paroles de Rouget de Lisle écrites pour l’armée du Rhin pendant les grandes heures où il fallait sauver la République. » ajoute-il, lyrique.
En Provence, dans le Quercy ou dans toutes les autres régions de France, on chante en patois pendant le travail…
Son programme ? Distribuer largement aux instituteurs de France des ouvrages permettant de faire chanter en français irréprochable les villageois dans des orphéons ou autres chorales guidées par une foi républicaine inébranlable.
Le ministère des Finances s’oppose naturellement à cette dépense jugée inutile. Les arguments employés par les cerbères de la rue de Rivoli ne manquent pas de pertinence :
« Pourquoi diffuser largement des ouvrages payés par des deniers publics pour soutenir notre langue nationale alors que les patois et autres dialectes locaux disparaîssent naturellement ? Les jeunes des campagnes se moquent des vieilles ritournelles en patois de leurs grands-pères et préfèrent les mélodies et les danses issus des cabarets, des spectacles de Music-Hall ou de l’opéra comique de la ville. Les jeunes gens se rendent aussi dans des cafés concerts qui ne sont plus le monopole des grandes villes et en reviennent en pratiquant un excellent français. Ceux qui diffusaient les vieux chants comme les bardes et les ménestrels en Bretagne ou les chiffonniers, les sabotiers et les colporteurs dans toutes les régions, vieillissent et sont de moins en moins nombreux. Autrement dit, tout laisse penser que l’hymne national cité par Monsieur le recteur réclamant des crédits, sera de moins en moins écorché par les écoliers ou les conscrits. »
Après réflexion, je décide de trancher ce conflit entre ministères en étant un peu facétieux.
Je commence mon courrier de réponse le plus sérieusement du monde en indiquant qu’« il va de soi que la dépense proposée par l’Instruction Publique ne revêt pas de caractère prioritaire » et comme cela me gêne de donner raison trop facilement aux collègues de la rue de Rivoli j’ajoute : « les arguments développés par le ministère des finances laissent percer une inquiétude : la disparition à terme des cultures locales. La Présidence du Conseil propose donc la commande de 300 000 livres de chants provençaux, bretons, béarnais, basques ou du Quercy. » Et je m’empresse de signer le document portant le sceau de la place Beauvau en beuglant assez haut pour étonner ma secrétaire : « Marcheu, trou de Diou ; Marcheu, pétard de Diou !»