« Il sait convaincre 7000 personnes en une heure. Par la magie de son verbe, il emporte l’adhésion de tous… sauf celle de sa femme. »
Les parlementaires de droite nuancent avec amusement les qualités de tribun de Jaurès. Ce dernier n’a jamais réussi à faire partager ses opinions socialistes à son épouse et, malgré son anticléricalisme, ses proches se rendent chaque dimanche à l’église et enchaînent les sacrements : baptêmes, communions…
Jean Jaurès. Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque commandé par la direction du journal Le Temps.
Au-delà de sa famille, Jaurès peine aussi à infléchir les méthodes des ministères radicaux qui se succèdent à la tête du pays.
« S’il était au pouvoir, il emploierait un peu moins le futur ou le conditionnel et serait obligé d’utiliser le présent. »
Les présidents du conseil successifs font tous part de leur agacement face à cette « conscience », ce censeur vigilant, ce rappel permanent des idéaux de justice et de droiture. Son soutien des grévistes de Carmaux, de Draveil ou de Vigneux, s’appuie sur une analyse de la justesse de leurs revendications mais ne tient pas compte du fait qu’il faut bien faire, en attendant, tourner le pays. L’envoi des dragons sur le lieu des troubles déchaîne ses foudres, l’arrestation des meneurs conduit à sa condamnation morale du gouvernement. Ce dernier paie cher devant la Chambre chaque coup de sabre porté sur les ouvriers et les ordres de fermeté donnés aux préfets sont autant de pièces à charge pour un procès permanent du radicalisme.
Tout le monde n’aime pas Jaurès mais chacun respecte ses idées. Aucun appel de sa part à la grève générale, une méfiance marquée pour la Révolution dans ce qu’elle a de violent, un attachement au pluralisme et à la libre expression de toutes les opinions, une volonté d’union des forces de la gauche et de rapprochement de la Cgt et de la SFIO : Jaurès ne rêve pas du « Grand Soir » et préfère la réforme de chaque jour. Il n’y a pas d’ennemis de classe mais des adversaires qui ont droit au débat, pas de têtes à couper mais des mentalités à faire évoluer.
Jaurès n’impressionne pas de prime abord : petit, râblé, bedonnant ; avant qu’il s’élance à la tribune, seul son regard surprend par son intensité. Mais dès qu’il prend la parole, l’animal politique se révèle. Caustique, drôle, assassin parfois, chaleureux souvent, il fait chavirer et basculer en sa faveur les auditoires les plus variés. L’enchaînement parfait de ses arguments peut aussi bien convaincre un juge de l’innocence de Dreyfus qu’un patron de la nécessité de faire des concessions sur les salaires et les conditions de travail. Sa voix, ses gestes amples, ses postures et ses silences qui lui permettent de guetter les quelques regards encore désapprobateurs, témoignent d’un engagement total et sincère. Il ne quitte pas une estrade sans avoir atteint chacun au cœur : ses sympathisants se ressoudent et ses opposants se prennent à douter.
Quel est l’avenir de Jaurès ?
Convaincre les dirigeants et l’opinion de tout mettre en œuvre pour maintenir la Paix est devenu son objectif. Une priorité dans ce monde qui s’arme et au milieu de ces Européens de plus en plus nationalistes.
La Paix comme combat quotidien d’un grand Monsieur que seul un lâche pourrait arrêter.
Je rappelle une citation de Jean Jaurès, qui donne un bref aperçu de son génie politique et humain, de ses idées généreuses, de sa tolérance, de son exceptionnelle ouverture d’esprit et de son courage (dans tous les domaines), etc.
« (…) Le courage, c’est d’être tout ensemble et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale. Le courage, c’est de surveiller exactement sa machine à filer ou tisser, pour qu’aucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés. Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d’éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de l’organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes. Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir, mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »
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Pour le « grand monsieur », ne nous privez pas d’un « M » majuscule !
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Jaurès, oui bien sûr. La description le rend presque visible à nos yeux. Et tout d’un coup, le pense : mais quelle était donc la composition de la Chambre en 1909 ? J’ai honte d’avouer que je ne sais pas… Pour se moquer : il y aurait donc plusieurs baptêmes dans la religion catholique ; j’ignorais aussi. Cordialement. Irnerius
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