« Je me méfie d’un Président de la République qui serait présent sur tous les fronts, qui ne pourrait plus prendre le recul nécessaire pour s’assurer que les grands arbitrages sont faits ». Lors d’une réception à l’Elysée ce jour, le Président Fallières m’a pris à part. Il continue :
– Figurez-vous que je vais avoir besoin de vous. Il n’est pas exclu que Clemenceau ne passe pas l’année. Son gouvernement est usé par les grèves ; les oppositions à la Chambre se font plus vives chaque jour, sa méthode cassante et souvent autoritaire en exaspère plus d’un. Si votre Patron est renversé, il faudra que le nouveau Président du Conseil que je nomme puisse compter sur un ou deux conseillers restant en place et capables d’assurer la transition.
Le Président de la République Armand Fallières se laisse aller à la confidence…
– Mais M. Clemenceau est en pleine forme, il demeure prêt à relever tous les défis qu’impose le pays.
– Non, les réformes ne se font pas vraiment. L’impôt sur le revenu continue à susciter la polémique, les retraites ouvrières sont en panne, l’aide médicale bat de l’aile, l’armée a des états d’âme, la marine prend l’eau…
– Oui, mais la police a été réformée, la grève générale évitée…
– Pour combien de temps ? Ecoutez-moi bien, mon rôle de Président de la République est de rester discret, de ne gêner ni la Chambre, ni les ministres qui sont en première ligne. En revanche, il faut que je sois prêt quand les députés décident de se séparer de l’exécutif en place. Je dois alors bien comprendre les attentes du pays, celles de ses élus ; il convient aussi que j’ai à l’esprit les orientations qu’il conviendrait d’imprimer à l’Etat. Au regard de cette réflexion, je m’efforce de connaître les hommes de qualité pouvant diriger le pays. J’observe les ministres en place, les députés en vue. Je flaire, je compare, je soupèse, j’évalue… et enfin, le moment venu, je tranche.
– Arbitre ultime ?
– C’est cela. Et aussi, ne l’oublions pas, recours suprême. Je suis celui qui ne peut s’user dans l’exercice quotidien du pouvoir. Je reste un homme neuf, un recours. Au delà du tumulte, des luttes de classes, des guerres entre partis, des rivalités de personnes, des conflits d’intérêts, je peux rassembler tous les Français. Celui qui ne prend pas parti est légitime pour arbitrer dans l’intérêt de la Nation toute entière.
– Les Français vous connaissent mal.
– C’est mieux. Notre peuple volontiers versatile se lasserait vite d’un Président omniprésent, intervenant sur tous les sujets, dans tous les grands journaux. Le Président doit avoir le verbe rare, entretenir un certain mystère, une distance qui suscite le respect, une hauteur qui décourage les basses attaques.
– Donc, Président de la République, c’est une bonne place ?
– Oui, la place est bonne… malheureusement, il n’y a pas d’avancement !
Le Palais de l’Elysée en 1909
Sympathique, en apparence, car cinq ans plus tard toute cette belle classe politique jetait toutes les forces vives de l’Europe, toutes ses richesses, tout son avenir, dans un suicide collectif…
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>Feb2000: je ne crois pas. Le climat politique actuel n’est pas propice à la guerre, ni dans 5 ans ni dans trente d’ailleurs!
Je trouve dans le discours du président une pensée que je crois importante: la discrétion du président doit rester de mise. Gageons qu’un président qui voudrait faire de la représentation serait l’image d’une république décadente.
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Mais oui, bien sûr. Et d’ailleurs, le monde n’a pas changé en un siècle… Les recettes restent toujours les mêmes, et les mêmes principes doivent s’imposer. Arrêtons de vouloir comparer ce qui n’est pas comparable. C’est sympa, c’est drôle, mais ça se limite à ça.
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Je découvre ce blog (très intéressant et riche ) par son billet du 14 février 2009. S’agit-il d’un dialogue fictif ou d’une conversation relatée dans le journal d’un personnage de l’époque (mais qui ?) ?
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> centau: ??
Je crois que ça n’avait pas d’autre but …keep cool!
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bis repetita
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Intéressant en effet, car, bien sûr, nous comparons d’emblée avec le pouvoir actuel ; même si comparaison n’est pas raison. Je m’interroge toutefois sur celui de l’omniprésent. N’est-il pas à l’image de la société : consumériste, rapide et sans recul ; superficielle et éphémère. Ne sommes nous pas dans l’ère des phrases courtes, dans l’ère de la communication sans vraie communication, et de tous les paradoxes ? La Vème République et sa Constitution de 1958 permet toutes les formes de Présidence en fonction de la personnalité du Chef de l’Etat élu… C’est pour cela qu’aucun d’entre eux (même l’auteur du « coup d’etat permanent ») n’a voulu la remplacer ; mais tout au plus la modifier. Aujourd’hui nous avons un Président omniprésent, Chef de l’éxécutif, Chef de parti… Souhaitons seulement qu’il puisse rester à l’écoute de tous les français en prenant, le plus souvent possible, du recul et sans se laisser gâter par les excés de la culture de résultats.
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Evidement la comparaison est tentante, voir provocante.
Je voudrais juste faire remarquer qu’en septembre 1914, Raymond Poincaré qui était président de la République et ce, pendant tout le conflit, joua un rôle décisif dans l’entré en guerre pour avoir poussé les Russes en sous-main (selon certains historiens). En tout cas, il a tout fait pour sortir du rôle d’arbitre afin d’être plus actif. En juin 1940, Lebrun a, en revanche, joué un rôle passif et voir complètement effacé. Alors que les lois constitutionnelles de 1875 donnaient, en principe, des pouvoirs importants au président (dissolution de la chambre eh oui!), l’usage et les erreurs de Mac-Mahon l’ont dépouillé du rôle qu’il aurait dû jouer au moment d’une des plus graves crises que notre pays ait eue à affronter. Et si Lebrun avait fait preuve d’un peu d’énergie, il aurait pu éviter la liquidation de la République et se placer en recourt dans la tourmente contre Laval. Alors avec des si…
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C’est une belle histoire: Qui dirige? Qui choisit les hommes qui arrivent au pouvoir? Le président (qui n’a à l’époque presque un pouvoir)? Le peuple (mais qui est-il)? La chambre? Ou alors notre conteur, qui finalement entre dans les secrets de la République et peut faire capoter une décision ou la favoriser?
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C’est sûr que les comparaisons avec la période contemporaine sont tentantes ! Mais qu’importe ! C’est fort bidonnant. De plus, le blog nous apprend qui était le président de la république en 1909 et nous incite à lire une histoire de la 3ème république. N’est-ce pas une sacrée performance ?
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