5 février 1909 : « L’abominable vénalité de la presse française »

 » Prêter à la Russie, c’est prêter à la France  » nous rappellent les réclames dans nos journaux favoris. L’Empire du tsar, ami de la République française, a besoin de l’argent de nos épargnants : il faut construire des milliers de voies de chemin de fer, des lignes de télégraphe, des fonderies, des aciéries, une industrie chimique, équiper une armée nombreuse…

Les caisses de l’Etat russe sont vides et celles de la France peinent à trouver un équilibre. Pendant ce temps, le bas de laine des Français ne cesse de se remplir : les fonctionnaires, les employés de bureaux, les ingénieurs, les épiciers ou professions libérales épargnent sagement pour pouvoir assurer leurs vieux jours.

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Un bon d’emprunt russe de 200 roubles émis au début des années 1900 et un billet de banque de l’empire du tsar daté de 1898

 » Ce sont les épargnants qui paieront le coût de notre rapprochement avec la Russie  » ne cesse d’affirmer notre ministre des finances Caillaux, soucieux de protéger son budget.

Jusque-là rien de choquant. Les Français peuvent bien placer leur argent où ils veulent.

Personnellement, j’ai acheté plusieurs titres émis pendant les années 1898 à 1905. J’ai fait cela sur les conseils de ma banque, le Crédit Lyonnais, qui m’a proposé cette affaire avec empressement (je sais que les établissements bancaires touchent une commission non négligeable sur les bons qu’ils arrivent à placer auprès de leurs clients).

Jusqu’à aujourd’hui, j’étais parfaitement serein sur la sécurité de ce placement : la garantie apportée par l’Etat français me semble rassurante, la solidité de l’Empire du tsar aussi et les taux d’intérêt versés dépassent ce qu’il est possible d’obtenir avec des bons du trésor.

Le rapport secret de la préfecture de police qui arrive sur mon bureau jette le trouble dans mon esprit.

Ce document ne porte pas sur les emprunts russes eux-mêmes mais sur les agissements d’un certain Arthur Raffalovitch, économiste moscovite distingué, financier habile résidant à Paris. Nous apprenons que ce dernier reçoit, régulièrement, des sommes rondelettes du gouvernement de Saint Petersbourg, versées par son ambassade.

Où va cet argent ?

La liste des destinataires est précise : M. A… journaliste au Petit Parisien, M. N… rédacteur au Temps, M. V… spécialiste de la bourse au journal l’Eclair, M. R…. rédacteur en chef adjoint du Journal des Débats etc…

Je retrouve dans cette énumération une bonne part des signatures de la presse française. En face des sommes versées, toutes d’un montant significatif, je peux lire la liste des articles parus dans les journaux et présentant les emprunts russes sous un jour favorable.

La note blanche de la préfecture me signale même que M. Raffalovitch se plaint amèrement à son correspondant, le ministre des finances du tsar Vladimir Kokovtsov, de « l’abominable vénalité de la presse française ». En effet, sa tâche est rendue difficile par les tarifs des rédacteurs qui ne cessent d’augmenter : manifestement, les « plumes » disposent d’autres sources de financement possibles et font grimper les enchères.

Voilà, tout cela n’est pas très ragoûtant. Je décide donc de faire convoquer ce fameux M. Raffalovitch pour qu’il m’en dise un peu plus sur ses activités.

A suivre…

4 commentaires sur “5 février 1909 : « L’abominable vénalité de la presse française »

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  1. La corruption et les « affaires » ont été l’une des plaies de la troisième république. La droite catholique, très anti-républicaine car dépouillée de toutes ses fonctions sociales par elle, a beaucoup dénoncé et instrumentalisé contre le régime ces pratiques assez courantes. Panama, Suez, et d’autres ont été des affaires retentissantes qui ont laissé des traces. Elles choquaient beaucoup l’opinion qui, déjà, espérait un comportement « moral » et exemplaire de la part des élites. Evidement, les juifs ont été accusés d’être les instigateurs de tout cela créant une nouvelle forme d’antisémitisme. Accusations largement exagérées bien que l’on retrouvait des juifs impliqués dans certains de ces scandales.
    30 ans plus tard lorsque le maréchal Pétain se retrouve au pouvoir, il établit l’état Français sur des bases qui, entre autre, dénonce l’affairisme de la république et prend rapidement une orientation assez antisémite.

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  2. Je condamne avec vous les méthodes de monsieur Arthur Raffalovitch. Mais il n’en demeure pas moins que je vous trouve bien léger de publier ce billet : venant de vous, un des blogueurs les plus lus du tout Paris, il est de nature à jeter la confusion dans l’esprit des gens.

    J’ai souscrit également aux emprunts du Tsar car ce placement ne m’offre que des avantages par rapports aux bons du trésor. Un bien meilleur taux de rendement, bien sûr, mais surtout plus de garanties : L’empire russe est un des états les plus solides qui soient, bien plus que la France qui passe par des phases de révolution tous les trente ou quarante ans… Et la prochaine ne devrait pas tarder quand on écoute les hurlements de ce fou de Jaurès !

    Je pense prendre ma retraite vers 1920/1922… J’ai prévu de liquider à ce moment mes emprunts russes qui m’assureront une retraite confortable de petit commerçant. Et à part si la suite de votre billet annonce que les emprunts russes sont en bois, je ne vois pas ce qui pourrait contrarier ce projet.

    Sincères salutations.

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