12 novembre 1922 : « Si encore les féministes étaient jolies ! « 

La Chambre s’est prononcée en 1919 en faveur du vote des femmes. Trois ans plus tard, après de nombreuses péripéties, le Sénat dont la majorité reste probablement opposée au texte, est saisi. Et sans accord de la chambre haute, cette évolution égalitaire, tant attendue par beaucoup, risque d’être enterrée pour un moment.

Je réunis ce jour quelques sénateurs et je tente de les convaincre de faire le bon choix dans les prochains jours. J’insiste sur le rôle que les femmes ont joué pendant la Grande Guerre, sur le fait qu’elles travaillent, paient leurs impôts, supportent les mêmes charges que leurs compagnons masculins… Je cite tous les pays (USA, Suède, Grande Bretagne, Pays-Bas, Belgique, Allemagne…) qui ont déjà donné le droit de vote aux femmes et qui ne semblent pas s’en porter plus mal, au contraire.

Les quatre sénateurs qui ont pris place dans mon bureau m’écoutent gravement ou avec le sourire. A la fin de mon court exposé, l’un d’entre eux s’exclame :

 » Mais une main de femme n’est pas faite pour voter ! Elle est là pour que nous la chérissions si c’est celle d’une mère ou que nous l’embrassions amoureusement si c’est celle de notre épouse mais elle ne doit pas se salir en entrant dans les turpitudes de l’arène publique ! « .

Un grognement d’approbation s’échappe de la bouche de ses confrères. Un autre, membre de la commission des Finances, ajoute :

 » Vous imaginez une femme essayer de comprendre les budgets du pays alors que la plupart sont fâchées avec les chiffres ?  »

Le troisième, un passionné d’Histoire antique, nous glisse, péremptoire :

 » Nulle part le rôle de la femme ne fut mieux compris qu’à Rome ; vénérée et vénérable dans la vie privée, la matrone romaine n’était rien dans la vie publique et jamais elle ne songea à compromettre la majesté du foyer domestique dans la tourbe des comices ! « 

Le dernier qui n’avait pas encore pris la parole m’explique que les sénateurs de son groupe – les Radicaux – ne voteront jamais en faveur du vote des femmes dans le contexte actuel. Pour lui, ces dames sont décidément trop pieuses et influencées par l’Eglise comme par les forces traditionnelles d’une Droite souvent ennemie de la République. Et c’est donc normal que notre pays et nos parlementaires s’en protègent.

Je prends quelques notes, effaré par ces arguments, tous plus ineptes les uns que les autres. Dans notre pays, le sort des femmes reste malheureusement entre les mains des hommes. Triste exception française !

Quand je raccompagne ces messieurs jusqu’à la porte de mon bureau, le plus charismatique de la bande me saisit alors le bras et lance, d’une voix forte et dans un grand éclat de rire :  » Et si encore les féministes étaient jolies ! « 

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