Je n’aurai pas une journée tranquille. Un peu avant six heures ce matin, l’orgueilleux cuirassé « Liberté » a explosé dans la rade de Toulon. Une déflagration terrible, entendue à des kilomètres à la ronde, qui a fait croire à une fin du monde. Depuis le lever du soleil, je suis donc mobilisé place Beauvau, avec le Président du Conseil Joseph Caillaux, en liaison étroite avec Théophile Delcassé, ministre de la Marine et les responsables locaux : le préfet maritime Bouxin et l’amiral Saint-Louis.

Je ne chôme pas : Il me revient d’informer la presse des nouvelles terrifiantes ; on pense à plusieurs centaines de morts, le chiffre incroyable de 400 est pour l’instant avancé. Caillaux m’envoie aussi prévenir le Président Fallières, en allant lui rendre compte directement à l’Elysée. Je dois choisir avec le chef de l’Etat les noms des membres de gouvernement qui se rendront sur place demain, rédiger le discours aux familles des victimes et régler les aspects matériels de ce déplacement en train.
Les dépêches se succèdent : l’une indique que d’autres bâtiments (les cuirassés voisins « République », « Vérité » et « Démocratie ») sont touchés, l’autre rappelle que des survivants se trouvent probablement prisonniers dans l’épave retournée et que chaque minute compte pour les sauver.
Chacun y va de sa spéculation pour expliquer la catastrophe : l’état des poudres, une manipulation malheureuse des obus, un incendie qui dégénère… ?
On cherche déjà des responsables : les commentaires vont aussi bon train sur le pauvre capitaine du navire, Louis Jaurès, qui n’est autre que le frère de Jean Jaurès. Est-il un bon officier ? A-t-il fait respecter les règlements de sécurité ? Etait-il à son poste au moment des faits ? s’interrogent des gens qui ne connaissent rien à la marine mais qui détestent le célèbre parlementaire.
D’autres posent des questions sur l’organisation de l’amirauté, le désordre des arsenaux et mettent en cause le résultats des suppressions de crédits réduisant les cales sèches et donc l’entretien convenable de la flotte de guerre.
Caillaux grommelle : » Tout cela est lamentable. Il y a quinze ans, nous avions la deuxième flotte du monde. Nous sommes maintenant à la quatrième place, dépassés par l’Allemagne et les Etats-Unis. Et nous n’avons même pas besoin d’une guerre pour perdre nos navires… »
Pour en savoir plus, rejoignez le groupe des amis du site « Il y a un siècle » !
J’ai déjà parlé de l’état préoccupant de notre marine ici et ici
Et l’essor de la marine américaine est abordé là.
Maintenant que la Liberté n’est plus, il reste à espérer que sa soeur jumelle la Démocratie ne connaîtra point sort similaire 🙂 (voir ci-dessous)
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Extrait du journal LE TEMPS du 28 septembre 1907
« LES ESSAIS DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA LIBERTÉ. ― Les cuirassés Démocratie et Liberté, qui effectuaient à Brest leurs essais de recette presque simultanément, obtiennent dans leurs expériences des résultats sensiblement égaux en ce qui concerne leurs appareils évaporatoires.
Samedi dernier, la Démocratie, dans un essai de dix heures à puissance maximum, réalisait 18.293 chevaux avec une consommation de 871 grammes par cheval-heure, sans le moindre incident, et la commission des essais témoignait sa satisfaction pour l’excellent fonctionnement des chaudières. Le mardi 24, c’était la Liberté, qui dans un essai officiel de consommation avec deux machines donnait 2.403 chevaux avec une consommation de 604 grammes par cheval-heure. (…) »
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Bye
Olivier Stable
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